Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pardon… je devrais être rassurée près de vous… je devrais me réjouir de quitter cette triste maison…

— Merci pour moi, grogna la vieille.

— Mais, reprit celle à qui nous donnerons encore le nom de Thérèse, ce costume, ces vêtements que je porte pour la première fois, cette solitude, l’heure à laquelle je me trouve près de vous !…

— Veut-elle pas aller voir M. Musard, chez lui, dans la matinée ? continua la Machuré.

— Tout cela fait que je me demande si je suis bien éveillée…

— Faut-il la pincer ? demanda la vieille à Olivier.

— Te tairas-tu, sorcière !

— Oh ! là ! là !

— Mademoiselle, ajouta Olivier… prenez mon bras et soyez sûre que c’est celui d’un ami.

— Connu ! fit la Machuré.

— Où me conduisez-vous ?

— Une voiture vous attend, et dans cette voiture…

— Tiens ! ils ne seront pas seuls ! Quel crétin ! pensa la vieille.

— Et dans cette voiture ? demanda Thérèse.

— Vous verrez quelqu’un, dit Olivier en souriant, qui chassera vos dernières hésitations… quelqu’un que vous serez heureuse de connaître.

— Allons ! puisqu’il le faut.

— En v’là des manières ! grommela la vieille… Allons ! bon voyage, ma mignonne… Le premier pas est fait… Il n’y a que celui-là qui coûte… Allez jusqu’au bout… Soyez bien gentille… Fiez-vous à m’sieu Olivier qu’est un brave jeune homme et une bonne paye… Soyez heureuse, il n’en sera ni plus ni moins. Je connais ça… Et n’oubliez pas la maman Machuré, qui s’est mise en quatre pour votre service… quoi !

— Sorcière damnée ! s’écria Olivier en faisant un mouvement de menace vers elle.

Mais celle-ci ne l’attendit pas, elle se hâta de rentrer dans sa maison, et à travers la porte on l’entendit encore souhaiter bonne chance au jeune couple, de sa voix rogommeuse et pleine de ricanements.

— Je me sens mourir, murmura faiblement la jeune fille en s’appuyant contre le mur pour ne pas tomber ; les odieuses paroles de cette femme…

— Du courage, mademoiselle, ayez foi en ma promesse.

— Si vous me trompiez, monsieur Olivier, reprit-elle tristement ; si cet intérêt que vous me témoignez cachait un piège !

— Je vous pardonne ce doute, mademoiselle : la démarche que vous faites en ce moment est grave ; vous allez vers l’inconnu, rien de plus naturel que votre émotion et votre anxiété. Je vous le répète : toute votre vie, tout votre avenir dépendent de cette nuit ; connaissant mieux que vous l’influence terrible qu’elle aura, je comprends vos hésitations et vos appréhensions. Sans le savoir et sans qu’il me soit permis de vous donner une explication plus claire, vous allez jouer une partie formidable, dans laquelle vous vous trouvez engagée depuis le jour de votre naissance.