Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Tâche de ne pas faire de sottises… Voyons, ne boude plus et réponds-moi, animal !

— Alors, faut que je parle ?

— Oui. Que vas-tu faire ?

— Mon capitaine, je vais vous quitter au carrefour de la Cruz-San-Andrès.

— C’est cela.

— Et vous continuerez votre route tout seul jusqu’à la maison. Vous êtes attendu. On a placé bien sûr des hommes de vigie autour de l’habitation.

— Peu importe.

— Oui, mais que ça vous importe ou non, aussitôt que vous aurez été signalé on laissera arriver en grand sur vous pour vous piloter et vous faire les honneurs.

— Tu as de la mémoire, matelot.

— Pour vous, oui.

— C’est convenu. Tu me quitteras au carrefour de la Cruz-San-Andrès.

Le colosse fit un signe de satisfaction.

Ils avancèrent rapidement.

Noël était retombé dans ses réflexions.

La Cigale luttait contre les regains de son sommeil interrompu.

Vers quatre heures, ils atteignirent le carrefour de la Cruz-San-Andrès.

Là, ils s’arrêtèrent.

Après avoir échangé quelques dernières recommandations, la Cigale prit une sente qui filait sous bois, et son capitaine continua sa route, au galop de chasse, allure habituelle des chevaux américains, qui, pour le constater en passant, ont en général le trot fort dur.

Au bout de quelques minutes de galop, Noël aperçut à l’autre extrémité de la route un cavalier accourant vers lui à bride abattue.

C’était un montero ou paysan tenant une ferme à gages.

Arrivé côte à côte avec le capitaine, il s’arrêta net, et portant la main à son chapeau :

Santas tardes, caballero ! lui dit-il.

Dios la dé à Vuestra Merced buenas, lui répondit Noël.

Après cette réciprocité de complimentation, formule consacrée de tout salut espagnol en Amérique, le montero continua :

— Votre Seigneurie veut-elle bien me permettre une question ?

— Parlez.

— Votre Seigneurie se rend-elle à Casa-Real ?

— Mais… oui.

— Alors Votre Seigneurie est le capitaine Noël ?

— Je suis le capitaine Noël.

Le montero salua.

Noël lui rendit son salut.

— Le comte de Casa-Real m’a donné l’ordre de venir au-devant de Votre Seigneurie avec quelques esclaves et des peones qui nous attendent à l’entrée de la forêt.

— Je suis à vos ordres, caballero.