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tenaient sous leur joug de fer et de sang les malheureuses et craintives populations de ces pays inconnus.

Ce fut surtout dans la première période de la découverte que bon nombre de ces manoirs s’élevèrent comme par enchantement.

Vu de la sorte, à distance, le château de Casa-Real offrait un coup d’œil superbe.

Il était placé au centre de plusieurs villages dont les maisons aux faîtes rougeâtres réverbéraient les derniers rayons du soleil couchant.

Les clochers des églises se mêlaient aux arbres de toutes espèces et paraissaient surgir du milieu d’un bouquet de palmiers gigantesques.

Une immense forêt l’enveloppait, formant une éblouissante ceinture vert d’émeraude à l’orgueilleuse demeure.

Lors de la prise de la Havane, en l’année 1536, par les Français, et en l’année 1762 par les Anglais, Casa-Real soutint victorieusement deux sièges mémorables contre les armées envahissantes.

Le dernier siège dura plus d’un an.

Pendant ce long espace de temps, les assauts répétés, la famine, les fléaux les plus terribles, ne parvinrent pas à lasser la constance de ses héroïques défenseurs.

Vingt fois on leur offrit une honorable capitulation, vingt fois ils la refusèrent.

Assiégeants et assiégés y mirent la même persévérance, le même acharnement.

On ne leva le siège que le jour où la Havane fut restituée à la monarchie espagnole par le traité de Versailles.

Le comte de Casa-Real actuel, celui que nous avons présenté à nos lecteurs, à bord du brick mexicain commandé par le capitaine Noël, attendait son hôte.

Pour lui faire honneur, il se tenait sur le seuil de sa demeure seigneuriale, appuyé sur deux serviteurs.

Sa femme était près de lui, à sa droite, un peu en arrière, pour ainsi dire dans son ombre.

De la sorte, elle voyait tout, sans livrer son visage en examen aux yeux de son seigneur et maître.

Noël mit pied à terre dans la cour d’honneur.

— Soyez le bienvenu dans le château de mes pères, capitaine Noël, dit le comte de Casa-Real, faisant avec peine deux ou trois pas au-devant du marin. Veuillez, je vous prie, vous considérer ici comme dans votre propre demeure. Cette maison est vôtre ainsi que tout ce qu’elle contient.

Cette hyperbolique, cette emphatique politesse n’eût rien signifié dans la bouche de tout autre bon Espagnol.

Tout offrir afin de se faire tout refuser est le propre de ce peuple vantard et généreux quand même.

De la part du comte de Casa-Real, ce n’était pas une vaine parole.

— Mille grâces, monsieur le comte, répondit Noël, serrant la main de son