Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/239

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— Vive Dios ! nous n’y manquerons pas, s’écria le personnage qui, jusque-là, avait seul interrogé l’inconnu.

La voix de ce personnage avait des intonations qui la faisaient ressembler, à s’y méprendre, à la voix d’une femme.

Il ajouta vivement :

— Venez ; il ne nous faut pas perdre une minute, si nous voulons être en mesure.

Ils se levèrent tous les trois.

L’inconnu jeta une piastre sur la table.

Bendito sea Dios ! reprit son interlocuteur ; je tiens ma revanche, cette fois !

Les trois associés s’éloignèrent à grands pas de la neveria.

Ils disparurent bientôt aux yeux des rares passants du quai, après avoir tourné dans une rue latérale.

Le lendemain soir, à cinq heures sonnantes, trois passagers accompagnés de leurs trois domestiques montaient à bord du brick La Rédemption.

Ce fut le lieutenant qui, la veille, avait traité de leur passage, qui les reçut à la coupée.

Il les conduisit au carrosse, leur futur logement.

Comme la veille, le capitaine et le second ne se trouvaient pas sur le pont.

Ce hasard n’eut l’air de contrarier en quoi que ce fût aucun des trois passagers.

Tandis que leurs gens se hâtaient de monter leurs bagages et de les installer provisoirement près de la drome, ils entrèrent dans le carrosse et s’y enfermèrent, sous prétexte de s’y reposer.

À six heures, l’appareillage commença.

Quelque minutes plus tard, le brick La Rédemption, poussé par une bonne brise d’ouest-sud-ouest, sortait de la rade et mettait le cap au large.

À sept heures, il se trouvait en haute mer.

Peu après, la bordée de tribord prenait le grand quart de nuit.

Au coucher du soleil, on avait cru voir blanchir à l’horizon les voiles d’un grand navire.

Ce navire semblait suivre la même route que la Rédemption, mais il n’avait pas tardé à se fondre dans les ténèbres et à disparaître.

On n’y avait plus songé.

La brise se maintenait.

La mer était belle, la nuit claire et pleine d’étoiles.

Après avoir pris son ris de chasse, le brick filait neuf nœuds à l’heure, tribord amures, sous sa misaine, ses huniers, ses perroquets, sa brigantine et son foc.

En l’absence de leurs passagers, le capitaine, le second et les autres officiers du navire, après être allés et venus assez longtemps sur le pont, étaient redescendus dans leurs cabines.

La bordée de quart restait seule, parée à la manœuvre.

Cette bordée se composait de huit hommes.