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dans une main vigoureuse, au bout de son bras, il cria de toute la force de ses poumons :

— Au meurtre ! À l’assassin ! En haut, tout le monde ! À moi ! à moi !

Cette voix de stentor, ces cris d’appel glacèrent les meurtriers d’un effroi facile à comprendre.

Ils hésitèrent une seconde.

On se consulta.

Cette seconde suffit au brave officier pour s’élancer dans l’angle tribord du carrosse.

Là il se mit en défense, et se prépara à vendre chèrement sa vie.

Le lieutenant était un homme de trente à trente-cinq ans, d’une taille colossale et d’une vigueur rare.

Les chefs des conjurés ne le connaissaient pas.

Ils l’avaient à peine entrevu un instant, en montant à bord.

Le voyant enveloppé dans son caban, endormi, accablé par les fatigues de la journée, ils l’avaient négligé pour s’occuper de ses hommes, dont la fidélité et la force leur semblaient plus à craindre.

Ils se trompaient.

Ils le reconnurent à leurs dépens.

Les cris du lieutenant avaient porté leurs fruits.

On venait de l’entendre, à coup sûr.

Dans l’intérieur du navire les hommes se hâtaient, sautaient à bas de leurs hamacs, criant, jurant, se bousculant, prêts en un clin d’œil à monter sur le pont.

La situation devenait critique pour les conjurés.

De sûre qu’elle était, la partie se faisait douteuse et pleine de danger.

Il fallait en finir à tout prix.

Trois hommes se jetèrent sur le lieutenant, la hache et le sabre hauts.

Il fit tournoyer son esparre autour de sa tête.

L’esparre retomba.

Deux coups furent parés, un troisième reçu.

Seulement ce ne fut pas le lieutenant qui le reçut, mais bien un de ses assaillants.

Ce dernier tomba le crâne fracassé.

— Et d’un ! cria le lieutenant. À moi ! à moi ! répétait-il en faisant un moulinet de défense à l’aide de sa lourde et terrible massue.

— À mort ! hurlaient les assassins.

Mais ils se tenaient à forte distance, épiant le moment de se ruer à corps perdu sur leur adversaire, qui ne pouvait continuer longtemps ses parades désespérées.

Cependant plusieurs matelots arrivèrent sur le pont.

Ceux-là étaient fidèles à leur devoir et dévoués à leurs chefs.

Ils s’étaient armés à la hâte.

Il fallut leur faire face.

Ce secours donna un instant de répit au courageux officier.

La lutte devint générale.