Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/252

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recherches… et d’ailleurs, il ne se cache pas, lui. Quand il y a danger pour les siens, il est toujours au premier rang.

— C’est vrai. Si c’était le capitaine auquel le timonier a fait sauter la cervelle ?… la balle l’a tellement défiguré, que nous ne pouvons pas le reconnaître.

— Es-tu fou, Marcos ? ce capitaine-là a la tête de moins…

Marcos, tout sérieux qu’il fût, laissa échapper un léger sourire motivé par le jeu de mots féroce, mais involontaire, de son compagnon.

L’autre comprit, haussa les épaules et continua :

— Que signifie cela ? Nous échapperait-il encore ?

— Cependant, señor, ce bâtiment s’appelle bien la Rédemption ?

— Oui.

— La Rédemption n’est-il pas le nom du brick commandé par lui ?

— C’est bien ce nom-là.

— Le carrosse habité par nous n’est-il pas le logement occupé dernièrement par M. le comte et Mme la comtesse de Casa-Real ?

— Sans contredit.

Ils parlaient en marchant.

Ils arrivèrent à l’endroit où se trouvait le cadavre du capitaine soutenant encore le corps du timonier.

Marcos le retourna.

Son compagnon s’agenouilla, et il approcha le fanal de ce qui restait du visage de l’officier de marine.

— Ce n’est pas lui ! tu le vois.

— Non, ce n’est pas lui.

— Nous sommes joués ! fit l’autre en se relevant. Qui donc m’a trahie ?

— Madame la comtesse… Señor… murmura Marcos Praya, qui, quelque innocent qu’il fût, ne put soutenir l’éclat du regard que sa maîtresse jetait sur lui.

— Silence !… il ne vous manquerait plus que de trahir mon incognito devant ces misérables bandits… Maladroit ! ajouta-t-elle avec colère.

Le majordome retrouva vite son calme et son impassibilité.

— Cet homme est bien fin, répondit-il en hochant la tête. Personne ne vous a trahie. Vous seule et moi possédions votre secret, votre projet.

— Alors ?

— Réfléchissez… señor… Deux fois vous avez tenté de vous délivrer de cet homme. Deux fois vos tentatives ont avorté.

— C’est vrai !

— Il ne s’abuse pas sur la haine que vous lui portez.

— Il fait bien !

— Tout cela lui aura donné l’éveil.

— Mille démons ! fit-elle en cachant sa tête dans ses mains. Je me trouverai donc toujours à sa disposition, en son pouvoir !

— Toujours ? non… mais ce sera long.

— Tant de sang inutilement versé ! reprit la créole en frissonnant malgré elle. Tant de sang !