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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/253

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— C’est un malheur, señor ! Mais comme à ce mal je ne vois pas de remède, mieux vaut en prendre son parti et ne plus y songer.

— Je ne m’en consolerai pas de longtemps. Des précautions si bien prises… une trame si bien ourdie !… Tu en prends facilement ton parti, Marcos !

— J’ai pour habitude de ne jamais discuter les faits accomplis. Manche perdue…

— Manche perdue… à ajouter à celles que nous avons perdues déjà.

— On recommencera… On comptera, et l’on paiera le tout ensemble.

— Non, Marcos, non. Quand on n’a pas gagné une partie comme celle que nous venons de jouer, il est impossible de sortir vainqueur de la lutte.

— S’il vous plaît d’y renoncer ?

— Y renoncer ! riposta violemment la comtesse de Casa-Real. Que dis-tu donc là, Marcos ?

— Je dis ce que signifient vos paroles, maîtresse.

— Mes paroles expriment le découragement du moment, elles ne rendent pas la haine qui germe, pousse et va toujours grandissant au fond de mon cœur. Renoncer à la lutte ! jamais ! dussé-je y périr moi-même !

— Bien, maîtresse. Marcos Praya préfère vous entendre parler ainsi. Quoi qu’il vous convienne d’entreprendre, vous le savez, votre esclave vous est dévoué jusqu’à son dernier soupir.

— Je le sais.

— Et vous le trouverez toujours entre le danger et votre chère personne.

— Bien, Marcos, assez, fit la créole, qui ne laissait jamais le métis lui ouvrir son âme tout entière. Je compte sur toi.

— Merci, señora.

— Oh ! tout n’est pas fini encore. Je le poursuivrai toujours et partout.

— Ceci réglé, dit Marcos avec un rire sinistre, que vous poursuivrez votre vengeance, bien légitime, du reste, occupons-nous du plus pressé. Le dernier cadavre vient d’être jeté par-dessus le bord. À quoi nous arrêtons-nous ?

— À ce qui a été convenu.

— Rien n’est changé ?

— Rien.

— Vous ne préférez pas retourner à Cuba, dont nous sommes peu éloignés ?

— Non.

— Il nous sera très facile d’atterrir dans une anse perdue de la côte.

— Et si l’on nous aperçoit ?

— Je réponds de votre incognito, señora.

— À quoi bon retourner à Cuba ? dit la créole après avoir réfléchi quelques instants.

— À détourner les soupçons, en nous y montrant au plus tôt. Un alibi ne peut nous être inutile, en cas de recherches.

— Qui en fera ? répondit-elle ironiquement, le vent ou la lune ? Non, celui que je poursuis n’a pas été assez niais pour rester à terre.

— Qui sait ?

— Non, non, Marcos ! Il est parti.