Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/254

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— Après nous, alors ?

— Avant nous, j’en ai la conviction. Sa contremine une fois établie, il ne s’est pas donné la peine et le désavantage de nous attendre.

— C’est possible, señora.

— Il nous précède ; c’est en Europe qu’il nous faut aller. Là, seulement, je le rencontrerai.

— En Europe ?

— Oui.

— L’Europe est grande, señora.

— L’Europe pour lui, en ce moment, c’est la France… et la France, c’est Paris. Voilà où nous le retrouverons, Marcos, à Paris.

— La France n’est pas un pays, Paris n’est pas une ville où une vengeance se suive sans encombre.

— Crois-tu ? fit-elle avec ironie.

— Si c’était en Espagne, encore, je ne…

— Aveugle ! tu oublies la clef qui ouvre toutes les portes et ferme toutes les consciences.

— La clef d’or ?

— Oui.

— Pour peu que cela convienne à cet homme, il deviendra aussi riche que vous, señora.

— Je te comprends… le testament du comte, n’est-ce pas ? C’est du testament que tu veux parler, Marcos ?

— Sans doute.

— Oh ! je le lui arracherai. Non pas pour cette fortune, que je méprise autant que lui peut-être… mais pour cette accusation qui pèse sur ma tête comme une hache empoisonnée. D’ailleurs, ma fortune personnelle est plus que raisonnable.

— Vous ne la connaissez pas vous-même.

— J’arriverai à mes fins, dussé-je la semer dans tous les ruisseaux, dans tous les antres, dans tous les bas-fonds de la ville vénale qui se croit la capitale du monde civilisé.

— J’ai peur que ce ne soit pas aussi facile que vous le pensez, señora.

— Crois-moi, mon bon Marcos, en France, comme partout ailleurs, quand on atteint un certain chiffre de fortune, on est au-dessus des hommes et des choses. Au temps où nous vivons, tout est à vendre, donc tout est à acheter. Il ne s’agit que d’y mettre le prix. Eh bien ! ce prix, je le mettrai.

— Ainsi soit-il, señora. Vous devez mieux connaître ces détails que moi. Si je me permets la moindre observation, ce n’est pas moi, c’est mon dévouement qui parle.

— Ne t’inquiète de rien, Marcos. Laisse-moi agir. Contente-toi d’exécuter mes ordres sans les discuter.

— Les discuter, moi, señora, jamais ! Je n’essayerai même pas de les comprendre pour peu que ce soit votre désir.

— Bien.

— Ainsi, rien n’est changé ?