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— Absolument rien.

Le métis s’inclina respectueusement devant sa maîtresse, et, tirant un sifflet en argent de sa poche, il siffla.

Les sept hommes, seuls survivants de l’équipage, s’approchèrent.

La comtesse de Casa-Real, reprenant son rôle de commerçant espagnol, se retira à l’écart.

Le majordome, s’adressant aux sept matelots qui l’entouraient, leur dit :

— Mes enfants, tout va bien. Jusqu’à présent nous avons parfaitement manœuvré. La réussite est complète. Aussi, je le reconnais, vous avez loyalement gagné votre argent.

Un hourra de l’équipage lui répondit.

Seul, l’homme placé à la barre ne quitta pas son poste.

Seul il ne s’était pas mêlé, comme partie active, au massacre, et il ne se mêla point non plus, comme partie prenante, à l’enthousiasme de ses compagnons, de ses complices, si on le préfère.

Marcos Praya fit bien la même remarque que nous, mais réfléchissant qu’après tout ce pilote, ce timonier ne devait pas quitter la barre du gouvernail, il continua :

— Une dernière précaution nous reste à prendre.

— Laquelle ? demanda-t-on.

— Mes garçons, reprit-il sans accorder une attention immédiate à leur interruption, mes garçons, vous ne vous souciez sans doute pas d’être pris par un croiseur et pendus comme des pirates ?

— Pendus !

— Dame ! ce bon lieutenant vous l’a prédit, et en cas de mauvaise rencontre, sa prédiction ne manquerait pas de devenir une réalité. La chose est facile à comprendre. Elle est d’une simplicité biblique.

Les bandits ne furent pas longs à reconnaître que le métis n’inventait rien.

Après l’ivresse de la lutte, après la réalisation d’un attentat qui les conduisait à la fortune, ils sentirent la peur d’un avenir douteux les dégriser.

Ils courbèrent la tête.

— Que faire ? demanda le maître d’équipage parlant au nom de ses hommes.

— Pas autre chose que ce que je vais vous dire, répondit Marcos Praya.

— Quoi donc ?

— Mettre la chaloupe à la mer, la remplir de vivres, de provisions, d’eau, enfin de tous les objets nécessaires à une navigation de quelques jours.

Comme les matelots se précipitaient pour exécuter ces ordres, il les retint et ajouta :

— Attendez ! attendez ! Comme vous y allez, camarades ! on voit bien que la corde n’est pas la cravate qui vous convient le plus.

— Ensuite ? fit le maître d’équipage.

— Ensuite, vous saborderez le navire.

— Bon !

— Cela fait, nous le surveillerons à distance, jusqu’à ce qu’il ait disparu au fin fond de la mer.

— Compris.