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Le lecteur nous saura gré, nous l’espérons, de le ramener à une époque où ces expressions : héroïsme, dévouement, fidélité étaient autre chose que des termes de rhétorique.

La noblesse bretonne est la plus ancienne noblesse de France.

Or, parmi les plus puissantes familles de la Bretagne figurait, vers la fin du xviiie siècle, la famille des Kérouartz, ducs de Dinan et comtes de Lestang.

Son blason portait : de gueules à quatre fusées d’hermine, posées en fasce et accompagnées de six besans du même, trois en chef et trois en pointe.

Un Rivallon de Dinan, comte de Lestang et Kérouartz, se croisa avec Alain Fergent, duc de Bretagne, et suivit Godefroy de Bouillon en l’année 1096.

Après la première croisade, les comtes de Lestang et Kérouartz s’allièrent à deux maisons souveraines.

La révolution de 1789 éclata.

Le chef de la maison de Lestang fit partie dû très petit nombre de gentilshommes bretons qui, dès le principe, acceptèrent, à cœur ouvert, les réformes proposées par l’Assemblée nationale.

Mais, quelques années plus tard, pour des motifs qui demeurèrent secrets, soit que sa conscience criât contre ses convictions nouvelles, soit que son premier pas dans la voie antimonarchiquê lui eût semblé un faux pas, le comte tourna bride et reprit de plus belle les opinions aristocratiques de sa race.

Il se montra le plus exalté parmi les plus exaltés promoteurs du soulèvement général de la Bretagne.

De ce soulèvement formidable, la réquisition de trois cent mille hommes ordonnée par la Convention fut le prétexte ; la raison véritable s’en trouve dans la condamnation et dans l’exécution du roi Louis XVI.

Le comte de Lestang avait un frère de lait, Hervé Kergraz.

Depuis des siècles, les Kergraz, féaux serviteurs des comtes de Dinan, faisaient, pour ainsi dire, partie de leur famille.

De générations en générations, les seconds en étaient venus à considérer les premiers non plus comme des vassaux, mais comme des amis.

Cet Hervé de Kergraz avait trois fils.

L’aîné de ces fils, Yvon Kergraz, était marié déjà et père de deux enfants jumeaux encore au berceau.

Les deux autres, Alain et Huon, âgés celui-ci de seize ans, l’autre de dix-sept, deux vrais gars bretons, hardis, résolus et bien découplés, n’avaient pas leurs pareils à dix lieues à la ronde pour la course, la lutte et la chasse au sanglier.

En 1792, avec l’autorisation du comte, ils partirent comme volontaires dans les armées de la République.

On les perdit peu à peu de vue.

À cette époque-là, on savait bien d’où l’on partait, on ignorait toujours où l’on allait et quand on reviendrait.

Mais, comme nous l’avons constaté plus haut, le comte de Lestang rentra dans les rangs des Vendéens, et ne fut point en mesure de rappeler les deux jeunes Kergraz.