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refuge, un secours, une éclaircie par où fuir. Mais rien ! Ces cinq hommes, dont l’un venait d’être mortellement insulté par lui, se tenaient devant lui, derrière lui, et autour de lui, impassibles comme la Justice, terribles comme la Vengeance, inexorables comme la Destinée.

Mauclerc eut peur.

Mais cette peur ne dura qu’un éclair. Presque aussitôt il redevint maître de lui-même, et, serrant les dents, il laissa échapper ces mots que René de Luz seul entendit :

— Tas d’imbéciles ! Ils pouvaient m’assassiner et ils font les généreux ! Tas d’imbéciles !

— Nous tuons, mais nous n’assassinons pas, monsieur, lui répondit de Luz avec mépris. C’est moi qui ai demandé qu’on vous fît l’honneur de croiser le fer avec vous. Nous étions en droit de vous assommer comme un chien enragé au coin d’une borne. Cette justice sommaire n’est pas dans les usages de notre patrie. Vous avez manqué à tous vos serments, vous alliez vendre vos frères !…

— Ce n’est pas vrai.

— Vous deviez les vendre demain. Vous avez sur vous la liste de la délation. Ne niez pas, vous l’avez sur vous… là, tenez… là.

Et, du bout de son épée, le jeune homme désigna la poche de gauche de l’habit de Mauclerc.

— Vous mentez ! vous mentez !

— C’est ce que nous allons voir.

Et René de Luz, qui avait eu le temps de se débarrasser de son domino, tomba en garde, la main haute, la pointe au corps et son œil dans l’œil de son adversaire.

Mais, nous l’avons dit plus haut, Mauclerc était un maître en fait d’armes.

Son premier soin fut de rompre. Puis, se recueillant, se ramassant bien sous son épée, il attendit, n’offrant à son adversaire qu’une série de contres, faits avec une rapidité prestigieuse.

René de Luz ne bougeait pas d’une semelle. Cherchant un jour, il se contenta deux ou trois fois d’allonger le bras, de faire deux ou trois fois feintes de coup droit qui, toutes, rencontrèrent la parade de Mauclerc.

Chaque fois Mauclerc riposta. La première, il effleura René de Luz au visage ; la seconde, il le toucha à l’épaule gauche ; la troisième, à la main droite.

Les quatre témoins ne laissèrent échapper ni un cri, ni un souffle, quelle que fût leur anxiété.

C’était bien un combat mortel. Toute blessure non mortelle ne devait pas arrêter le combat.

René de Luz avait passé son épée de la main droite à la main gauche.

Son sang coulait par trois égratignures, mais sa volonté et la confiance en son droit le soutenaient.

Enfin, il parvint à saisir le fer de Mauclerc.

Alors, se fendant à fond, il tira en pleine poitrine après un battement de précaution.