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Il s’était débarrassé de ses fourrures de voyage.

Une petite veste-jaquette en molleton et un pantalon à pied se terminant par des pantoufles en grosse tapisserie, composaient tout son vêtement de cérémonie.

En homme d’esprit qu’il était, M. Lenoir n’avait pas hésité une minute à revêtir cette tenue sans-gêne ; il savait bien que le premier moment de surprise passé, c’était le seul moyen de forcer se hôtes à se regarder comme chez eux.

De taille élevée, un peu gros, le commis-voyageur portait sa barbe longue ; de fines lunettes, dont les verres, couleur de fumée de Londres, amortissaient la vivacité de son regard perçant, étaient soudées à ses deux oreilles.

Une toque en velours noir couvrait son front, atteint d’une calvitie précoce.

En somme, M. Lenoir, malgré ses lunettes, sa longue barbe et son toquet de velours, peut-être bien à cause de tout cela, avait une vraie tête de bon enfant.

Aussi son entrée fit-elle sensation.

La Pomme lui tira sa plus belle révérence.

Les deux étudiants le saluèrent avec la déférence de deux appétits peu satisfaits jusque-là, mais reconnaissants par avance.

— À table ! s’écria-t-il tout d’abord, en invitant du geste les trois jeunes gens à prendre des sièges ; à table ! c’est presque une crémaillère que nous allons pendre aujourd’hui.

— Une crémaillère ? demanda la Pomme, étonnée d’entendre parler ainsi un homme qui habitait sa maison depuis longtemps déjà.

— Oui, ma chère enfant. Vous êtes les premiers bipèdes qui mettiez le pied dans mes pénates.

— Qu’est-ce que c’est ça, que des pénates, Arthur ?

— Mazette ! il en a plusieurs ? À moi, un seul me suffit.

— Tenez-vous-y, petite Rosette ; le vôtre est le seul bon, répondit en riant M. Lenoir. Il a détrôné tous ses prédécesseurs, et personne ne s’en plaint.

— T’en plains-tu ? murmura Arthur à l’oreille d’Adolphe.

— Moi ! pas du tout.

— Eh bien ! ni moi non plus.

— Allons ! allons ! assez de plaisanteries sur ce sujet-là, continua M. Lenoir, ou je vous dis cinq fois le Benedicite, avant d’entamer ces malheureuses ostendes.

Un silence respectueux se fit comme par miracle, au dernier mot de ce quos ego.

— À la bonne heure. Mademoiselle Rosette, à ma droite.

— Non pas, fit la brune fille, la place d’honneur à Pâques-Fleuries.

— Comme il vous plaira. Ces messieurs se placeront à leur guise. Je ne m’occupe jamais des hommes, dit M. Lenoir en riant. Mais où est donc Mlle Pâques-Fleuries ? ajouta-t-il en voyant rester vide la chaise qui se trouvait placée à sa droite. Nous ferait-elle faux bond ?