Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/311

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— Dire la bonne aventure.

— Aux clients qui lui sont particulièrement recommandés.

— Ah ! il faut une recommandation ! dit le commis-voyageur en ne pouvant s’empêcher de sourire avec une légère ironie.

— Oui, monsieur, répondit la Pomme d’un air de défi… Si vous en désirez une, on vous la donnera.

— Il ne faut pas jurer : Fontaine, je ne boirai pas de ton eau ! dit M. le Lenoir en s’inclinant devant la mauvaise humeur naissante de la jeune grisette ; puis, s’adressant à l’étudiant : Vous vous êtes donc fait tirer les cartes, monsieur Rével ?

— Je l’ai osé.

— Et l’on vous a annoncé ?…

— Des choses étonnantes.

— Voyez un peu comme c’est malheureux ! dit M. Lenoir sans sourciller. Si ces choses étonnantes arrivent, — ce dont je ne me permets pas même de douter, — si ces choses étonnantes arrivent, elles ne vous étonneront pas. Donc…

— Si vous aviez fait l’esprit fort, comme vous le faites maintenant, au commencement du déjeuner, je ne serais pas restée à table, près de vous… murmura la Pomme avec aigreur.

— Ah ! si votre magicienne vous prédit que vous aurez un jour le caractère facile…

— Êtes-vous taquin ! riposta la jeune fille, qui allait se mettre en colère, mais qui, voyant le sourire amical de M. Lenoir, se contenta de frapper de son petit poing sur la table, et de le montrer ensuite, menaçant, à son antagoniste.

— Voyons, y allons-nous tous chez votre Mlle Lenormand ? fit celui-ci.

— Non pas, je veux y aller toute seule d’abord.

— Avec moi, dit tout bas Adolphe.

— C’est convenu, vous m’y conduirez.

— Et ce pauvre Arthur ? dit Pâques-Fleuries en souriant avec douceur.

— Oh ! il ne sait pas assez se tenir dans le monde. Je ne lui accorderai la faveur de lui donner le bras que lorsqu’il aura fait de sérieuses excuses au père Pinson.

— Ah ! il peut bien les garder ! dit ce dernier. Je me soucie de lui et de ses excuses autant que de ses sottises. Dans tout ça, je ne regrette qu’une seule chose.

— Quoi donc ?

— Le verre de chablis qui lui a débarbouillé le museau.

Et cependant, dans sa mansarde solitaire et désordonnée, le pauvre Arthur dormait et ronflait de plus belle.

— Seulement, continua le vieux sergent, si j’ai un conseil à vous donner, mes petits enfants…

— Donnez-le, père Pinson !

— Avec la permission de M. Lenoir.

— Parlez, mon ami.