Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non, monsieur !… mais voyez-vous, il ne faut pas plaisanter avec la seconde vue… il ne faut pas railler avec les sorciers… ces gens-là savent bien des choses… je vous en réponds.

— Je le veux bien, mon ami, répondit M. Lenoir, qui, s’adressant à la Pomme, ajouta : — Ah ! çà, mademoiselle Rosette, vous êtes bien décidée à vous rendre chez…

— Chez la Pacline.

— Ah ! votre tireuse de cartes s’appelle la Pacline.

— Oui.

— Où demeure-t-elle ?

— Rue de la Calandre.

— Et vous n’aurez pas peur ?

— Celui ou celle qui doit me faire peur n’est pas encore venu et mis au monde, répondit fièrement la jeune fille.

— Ma sœur ! fit doucement Pâques-Fleuries.

— Que me veux-tu ?

— Tu renonceras à ce projet.

— Laisse donc, il faut bien rire un peu.

— Rire avec ton avenir !

— D’ailleurs, dit M. Lenoir, à quoi bon vous bourrer la tête de fausses idées, de chimères, nuisibles précisément à cet avenir dont vous vous préoccupez ?

— Ce n’est pas l’avenir qui me préoccupe, répondit la Pomme, devenue pensive, mais le passé…

— Le passé !

— Oui, le passé. J’ai à peine dix-huit ans… et pourtant ma vie est enveloppée de ténèbres, de souffrances et de…

Rosette ne prononça pas le dernier mot, qu’elle avait sur le bout de la langue, car ce mot l’eût fait rougir ; elle le retint ; mais à l’idée de ce mot, son visage avait pâli et ses sourcils s’étaient froncés involontairement.

— Oui, répondit-elle d’une voix sourde, ce sont mes premières années que je veux connaître.

— Rosette, je t’en prie, lui dit Pâques-Fleuries en lui prenant les mains et les serrant dans les siennes, ne va pas chez cette femme ou laisse-moi t’accompagner.

— J’irai seule avec M. Adolphe, fit la Pomme, en secouant sa tête mutine, Je l’ai résolu et cela sera.

— Mais…

— Oh ! il n’y a pas de mais…

— Si cependant je tiens à me faire prédire mon avenir ?

— Nous y retournerons ensemble, un autre jour.

— Entêtée !

— Curieuse !

— Laissez faire l’enfant, dit le vieux soldat d’une voix profonde ; et il