Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/355

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« Je fis signe à Pâques-Fleuries, à laquelle l’hôte du baron offrait une chaise dorée sur tranche, comme toute cette singulière maison.

« Pâques-Fleuries me lança un coup d’œil par lequel elle me répondait :

« — J’écoute, je regarde et je suis prête.

« Ce qui suivit se passa en moins de temps qu’il m’en faudra pour vous le raconter.

« En mettant le pied dans ce repaire, mon premier soin avait été d’examiner les tenants et les aboutissants, les armes et les issues que le hasard me fournirait.

« Un couteau à découper d’une longueur et d’une largeur plus que respectables se trouvait sur la table, à ma portée.

« Au moment où le folâtre baron me tendait la main pour me forcer gracieusement à m’asseoir auprès de lui, je laissai tomber mon mouchoir.

« Pâques-Fleuries comprit et vint se placer derrière moi.

« Pendant que son ami regardait, cette stratégie d’un air hébété, mon baron se baissa pour ramasser mon mouchoir.

« Me souvenir de mon ancienne agilité de saltimbanque, saisir le couteau de la main droite, empoigner le misérable à la nuque, par sa cravate, lui tenir malgré ses cris, le corps courbé en deux et lui appuyer la pointe de ce terrible couteau à découper entre les deux épaules, fut pour moi l’affaire d’une seconde.

« Aux cris du baron, l’autre, très ému, excessivement pâle, fit mine de quitter son siège.

« Pâques-Fleuries m’aidait à maîtriser le baron de Kirschmarck, qui du reste n’était pas difficile à contenir, sentant comme il la sentait la pointe menaçante qui effleurait son épidémie.

« Je me tournai vers l’ami du baron et de ma voix la plus calme, je lui dis :

« — Si vous bougez, j’enfonce jusqu’au manche ce couteau dans les reins de M. le baron.

« — Ne bougez pas, mon ami ! cria ce dernier avec une angoisse facile à comprendre. Elle le ferait comme elle le dit.

« — Aussi vrai que nous sommes d’honnêtes filles et que vous, vous êtes deux affreux gueux.

« — Gueux ! un homme qui vous offre cinquante mille livres de rentes si vous voulez l’écouter ?

« Il ne désespérait pas de me séduire, même en se voyant terrassé comme un bœuf à l’abattoir.

« — Tais-toi, imbécile ! lui répondis-je. Es-tu chrétien ?

« — Non.

« — Es-tu juif ?

« — Je ne sais pas… Oui, oui ! fit-il en se reprenant et dans le plus grand trouble.

« — Cela devait être. Y a-t-il un serment qui vous soit sacré dans votre religion ?

« — Il y en a quatre ou cinq.