Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« — Bien. C’est tout ce que je voulais savoir. Il n’y en a pas. Tu sens que j’ai un poignet d’homme ?

« — Un poignet d’acier. J’offre soixante mille francs par an.

« — Tu vas te relever, marcher devant moi.

« — Oui, oui ! s’écria-t-il joyeusement.

« — Attends ! je te tiendrai toujours. Nous te suivrons pas à pas, ma sœur et moi.

« — Je le veux bien.

« — Tu ne le voudrais pas que ce serait absolument la même chose. Si tu nous fais ouvrir la porte et si nous sommes libres de nous retirer sans être inquiétées par les misérables de ta suite, je t’épargne. Sinon, prie Moïse, Aaron et tous les prophètes ; ta vie ne vaut pas mieux que celle de ce poulet qui se trouve devant ton assiette. Je frappe et je te tue.

« — C’est convenu.

« Je le laissai se relever.

« Il marcha.

« Je le suivis, le tenant au collet, par derrière, et le menaçant de la pointe de mon arme.

« Pâques-Fleuries se tenait prête à me porter aide et secours.

« L’ami fit un mouvement.

« Le baron lui cria une seconde fois :

« — Par grâce, restez assis !

« Nous sortîmes dans le jardin.

« Cinq minutes après, nous passâmes, toujours dans le même ordre, devant la loge du concierge.

« — Crie qu’on nous ouvre, lui dis-je tout bas.

« — Baptiste, le cordon ! fit-il de sa plus belle voix.

« La porte s’ouvrit.

« Pâques-Fleuries sortit la première.

« — Un dernier mot avant de nous quitter, ajouta le baron.

« — Parlez.

« — J’offre cent mille francs par an, si vous voulez me donner le droit de vous tutoyer comme vous me tutoyiez tout à l’heure.

« — Le couteau à la main ? répliquai-je en riant.

« — Non, plus à mon aise.

« — Vous m’aimez donc ?

« — Je suis fou de vous, parole d’honneur !

« — Vrai ?

« — Foi de banquier.

« — Eh bien !… lui dis-je après un temps qui lui permit d’espérer une réponse favorable, je suis bien heureuse de vous inspirer ce sentiment, quel qu’il soit. Vous serez convaincu que votre or et les millions entassés dans vos caves ne sont pas tout dans la vie. Vous m’aimez, tant mieux ; moi je me moque de vous et je préférerais un garçon épicier, honnête homme et gentil garçon qui m’épousera, entendez-vous, baron de Kirschmarck, lâche suborneur de filles timides ! Ah ! vous m’aimez et vous m’offrez votre fortune