Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/358

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boisseaux de charbon, et nous fîmes notre testament par lequel nous laissions une robe à la petite charbonnière, pour lui payer ce petit service qu’elle nous rendait, bien à son insu, la pauvre femme.

« Après avoir prié, nous mimes nos vêtements les plus propres, et, dans les bras l’une de l’autre, étroitement serrées pour ne pas permettre à la mort de prendre Pâques-Fleuries avant Rosette, ou d’emporter Rosette avant Pâques-Fleuries, nous nous endormîmes d’un sommeil que nous pensions bien devoir être éternel.

« Dieu, qui jusque-là avait semblé nous abandonner, ne permit pas l’accomplissement de notre funeste projet.

« À la suite d’un long évanouissement, nous nous réveillâmes presque en même temps, ma sœur et moi.

« Nous n’étions plus dans noire chambrette.

« Une vieille dame à cheveux blancs, qu’une sœur de charité appelait Mme Dubreuil…

Ici M. Lenoir fit un geste qu’il réprima.

Rosette s’en aperçut et lui demanda :

— La connaîtriez-vous ?

— Non, achevez.

La Pomme continua son récit de la façon suivante :

Mme Dubreuil, dans une tournée de charité, — celle-là n’était pas comme la Machuré, elle représentait bien la Divinité sur la terre, — avait eu vent de notre misérable situation. La Providence l’amena chez nous à la fin de sa journée.

« Vous devinez le reste.

« Arrivée juste à temps pour nous retirer de la mort, elle nous fit transporter dans cette maison, rue d’Astorg.

« Soignées comme ses propres filles, nous ne mimes pas longtemps à nous guérir du malaise, suite de notre tentative de suicide, et de notre envie de mourir.

« Depuis ce jour, grâce à la protection maternelle de cette bonne dame, nous ne manquons de rien, nous travaillons, c’est-à-dire Pâques-Fleuries travaille toujours et moi je l’aide souvent.

« Toujours est-il que la vie nous est douce.

— Ce qui fait que vous voulez en changer ? dit M. Lenoir, en raillant doucement la jeune fille.

— M’en blâmez-vous ? demanda la Pomme.

— Je ne blâme ni ne conseille. Je fais mes observations, voilà tout, répondit le commis-voyageur.

— Rosette n’en finira jamais, interrompit Pâques-Fleuries, qui voyait la conversation tourner à l’aigre entre sa sœur et leur amphitryon ; je vais me charger de ce soin. Qu’elle éprouve le désir de se connaître mieux qu’elle ne se connaît, cela la regarde ; mais toujours est-il que nous devons tout à cette chère Mme Dubreuil, et que nous lui gardons une reconnaissance infinie. Nous sommes pleinement heureuses ; nous gagnons plus qu’il ne nous faut pour vivre. Je mets de l’argent à la caisse d’épargne.