Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/364

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— À propos, il ne m’est venu personne, ce matin ? demanda M. de Warrens.

— Deux.

— Deux amis ?

— Ami et homme d’argent.

— Ils attendent ? fit le comte en souriant de la distinction établie si brièvement et si clairement par son valet de chambre.

— Salon bleu.

— Le colonel Renaud, sans doute ?

— Colonel, répondit Saturne en faisant un geste affirmatif.

— Et l’autre ?

— Notaire.

— M. Dubuisson ?

— Oui. Rendez-vous.

— Au fait, c’est vrai, dit le comte, je lui avais donné rendez-vous pour midi et demi.

— Sont là.

— Fais entrer.

— Qui, premier ?

— Tous deux ensemble.

M. Saturne sortit.

Son maître profita du court intervalle de temps qui s’écoula entre sa sortie et l’entrée des deux personnages annoncés, pour s’assurer que rien dans sa chambre ne dénonçait ses marches et contre-marches de la nuit passée.

Saturne rouvrit la porte de communication, il introduisit le colonel Renaud et maître Dubuisson, leur donna des sièges et se retira.

— Soyez les bienvenus, messieurs, fit M. de Warrens en se levant pour recevoir les visiteurs, prenez place, et veuillez bien, je vous prie, excuser le sans-façon de ma réception. Je me suis couché un peu tard, à cinq heures du matin, et j’ai fait le paresseux.

— Contre votre habitude, monsieur le comte, repartit le notaire de son air le plus gracieux.

— Vous me pardonnerez si je vous reçois en pantoufles. Vous attendiez déjà depuis longtemps, j’ai voulu vous épargner un plus long ennui.

Tout en s’excusant d’une façon qui, à la rigueur, eût pu signifier : Ma foi, mes bons amis, je suis encore bon prince de vous recevoir à mon petit lever, le comte s’adressait simultanément à M. Dubuisson et au colonel. Chacun d’entre eux pouvait prendre pour son propre compte ces politesses et ces demi-reproches d’indiscrétion.

Le notaire, qui avait déjà payé sa bienvenue par une phrase aimable, se sentait l’âme tranquille.

L’officier ne fit pas preuve de grande susceptibilité ; il se contenta de dire :

— Mon cher comte, j’ai à vous parler. Si rien ne s’y oppose, gardez-moi. Si je vous gêne, chassez-moi. Ce sera pour une autre fois.

M. Dubuisson, qui se rengorgeait fort de son bon droit et de son rendez-vous, jetait sur lui un regard narquois.