Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/419

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ceux qui possèdent des oreilles de la taille des miennes, et des yeux grands comme ceux de madame la comtesse.

— Vous aurez vingt-cinq louis ! s’écria vivement la comtesse, mais, de par tous les saints du paradis, si vous vous avisez de me faire l’ombre d’un compliment, je vous chasse sans vous rien plus demander qu’à ma perruche favorite !

Charbonneau, honteux et confus comme l’âne de la fable éconduit pour avoir voulu prendre les manières et les mines d’un king-Charles, baissa la tête et attendit en silence.

— Bien. Voilà comme je vous veux, reprit doña Hermosa. J’arrive à ma question. En supposant que l’un de ces jours, aujourd’hui, ce soir-même, de huit à dix heures, une personne que je n’ai pas besoin de vous faire connaître désirât parler à ce Passe-Partout…

L’agent sourit.

Ce sourire était superflu.

La comtesse s’arrêta, puis sur un geste suppliant, sur un geste d’excuse de son auditeur, elle reprit :

— En supposant cela, où faudrait-il qu’elle se rendît pour le rencontrer ? Répondez, monsieur, répondez.

— Voilà qui est la chose la plus facile du monde, s’écria joyeusement le mouchard interlope.

— Voyons !

— La récompense tient toujours ?

— Autant que vous tenez à elle, monsieur Charbonneau. Je n’ai pas l’habitude de marchander les services qu’on me rend.

— Ce soir, dit-il, à neuf heures très précises, ce bon, ce cher, cet excellent Passe-Partout se rendra rue d’Angoulême-du-Temple.

La créole écrivait et notait les noms et les adresses contenus dans la réponse de Charbonneau.

— Chez qui ? demanda-t-elle avec anxiété.

— Chez un brave marchand de vins traiteur, à l’enseigne du Lapin courageux.

— Qu’y va-t-il faire ?

— Je l’ignore. Mais il y soupera et il n’en sortira pas avant dix heures.

— Vous répondez de tout ce que vous avancez là ?

— J’en réponds, madame la comtesse.

— Prenez et partez. Si j’ai besoin de vous, je vous ferai prévenir.

L’agent de police prit les vingt-cinq louis que Mme de Casa-Real laissa tomber dans sa main tendue et, courbant sa longue échine jusqu’à terre, il suivit Anita, la camériste, qui lui montra le chemin, sur un signe de sa maîtresse.

Une fois seule, doña Hermosa parcourut rapidement toutes les notes inscrites sur son carnet, et murmurant :

— Ah ! mon beau Noël ! prenez garde ! Il me semble bien que je tiens enfin l’un des secrets de ce mystérieux comte de Warrens !

Elle passa de son salon dans sa chambre à coucher.