Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/450

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affaire avec Mauclerc, ne voulant pas manquer l’Opéra, ont mis les morceaux doubles.

— Voyons, fit le comte, en retenant Fleur-de-Lis, qui ne lui aurait pas laissé le temps d’entendre jusqu’au bout le récit de son frère.

— Arrivés devant le bouge de la vieille revendeuse, nos trois amis sont descendus de voiture. Sir Mortimer et San-Lucar se sont embusqués de chaque côté de la porte. Rioban a frappé. Au moment où l’affreuse compagnonne ouvrait, un châle lui a été jeté adroitement sur la tête, de façon à l’empêcher de crier. Pendant que Mortimer la maintenait, ce qui n’était pas une tâche facile, la gaillarde se débattait comme une hyène prise au piège, les deux autres sont montés dans son repaire, ont enlevé Mme Bergeret et l’ont placée dans leur voiture.

— Et la Machuré ?

— Mortimer, la chose faite, lui a mis une dizaine de louis dans la main, et lui a prononcé à l’oreille deux mots qui la rendirent immédiatement souple comme une brebis, et tremblante comme le condamné qui marche à l’échafaud.

— La date en question, sans doute ?…

— Treize avril…

— Mil huit cent quarante et un, acheva le comte.

— C’est cela.

— Ensuite ?

— Mortimer, laissant la vieille sortir de son châle et de ses émotions, referma la porte, et la voiture partit avec la rapidité de l’éclair. Vingt minutes plus tard, après avoir déposé nos trois compagnons sur le boulevard des Italiens, à l’entrée du passage de l’Opéra, elle s’arrêtait devant l’établissement du docteur Blanche.

— Qui conduisait la voiture ?

— Le major.

— Ah ! Schinner en était ? Tu l’avais oublié.

— Il ne s’est mêlé en rien à l’action.

— Je le reconnais bien là, dit M. de Warrens, fidèle à sa devise : Toujours prêt dans l’ombre. Allons, tout est bien. Je suis content.

À ce point de leur conversation, les deux cavaliers enfilaient la tête de l’avenue de Saint-James, où se trouvait l’hôtel de la duchesse de Vérone.

— Nous y voici, fit le colonel.

— Pauvre duchesse ! lui répondit son frère en riant. Si elle savait…

— Quoi ?

— Que son mari…

— À ton tour, Noël, tu parles imprudemment…

— Il faudra pourtant bien, continua le comte du même ton, qu’un de ces jours on le lui ressuscite.

— N’est-il pas à Paris, en ce moment ?

— Je le crois bien !… depuis deux bons mois. Mais je le surveille… Il se gardera de donner signe de vie, sans, que je le lui permette.

— Nous pouvons être tranquilles. Sa désobéissance lui coûterait trop cher.