Les salutations d’usage échangées, la générale introduisit les deux hommes et la jeune fille dans un boudoir placé au fond de son appartement.
Elle avait donné l’ordre de ne plus recevoir personne, et de ne la déranger sous aucun prétexte.
Toutes ces précautions prises, elle se tourna vers M. de Warrens, et lui dit :
— Mon cher comte, vous savez pourquoi vous êtes ici ?
Le comte s’inclina et fit un geste affirmatif.
— La chère enfant que vous m’aviez confiée, que vous avez placée sous ma sauvegarde, — et tout en parlant elle désignait la jeune fille, dont le maintien modeste et timide confirmait chacune de ses paroles — devait, d’après notre commun désir, vous raconter son histoire et celle de sa famille.
— En effet, duchesse, et malgré les douleurs que ce récit doit réveiller au fond du cœur de mademoiselle, ce récit est nécessaire, indispensable.
— Nous l’avons jugé ainsi, elle et moi, continua la duchesse. Mais craignant que la force ne lui manquât pour aller jusqu’au bout, je l’ai priée d’écrire, sans omettre le moindre détail, les souvenirs des malheurs qui ont frappé son enfance.
— Mademoiselle désire-t-elle me lire elle-même ces souvenirs, ou veut-elle que je les parcoure sur-le-champ ?
— Elle vous les lira, mon cher comte. Il faut que M. le colonel Renaud et moi-même nous ne perdions rien de cette navrante histoire, pour ne pas reculer devant le châtiment du coupable, l’heure de la justice venue.
— Et soyez-en certaine, mademoiselle, ajouta le comte, cette heure ne tardera pas.
La jeune fille, qui, pendant ces répliques échangées entre M. de Warrens et le duchesse de Vérone, avait eu le temps de dominer son émotion, prit un tiroir, l’ouvrit et lut ce qui suit.
V
JOURNAL D’UNE JEUNE FILLE. — UN MÉNAGE PARISIEN
C’était en 1835, en plein mois de décembre.
Au coin de la cheminée d’un salon meublé avec goût et simplicité, faisant partie d’un appartement bourgeois, se tenaient une femme et un enfant.
La femme, dans toute la force de sa beauté et de sa maternité, avait à peine trente-cinq ans.
L’enfant, une petite fille, n’avait pas encore six ans.
La mère, Mme Bergeret, assise devant un métier, faisait de la tapisserie.
La fille tenait un journal et épelait.
— Un et cinq, ça fait six, disait-elle.
— Non, ma petite Claire » répondait sa mère, non ; dans ce que tu lis, un et cinq, cela fait quinze.