Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/498

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— Oui.

— Et mal vous en prit, sans aucun doute ?

— Il se retira de mauvaise humeur, en proférant les plus terribles menaces contre moi et les miens.

— En somme ?

— Vingt-quatre heures plus tard, nous étions entourés, cernés par la gendarmerie. On nous enchaînait et l’on nous traînait en prison.

— À Strasbourg ?

— Oui. Pour ma part, je restai oublié pendant cinq ans, après avoir été promené de prison en prison.

— Et au bout de ces cinq années ?

— Un matin, on m’ouvrit la porte. Des gendarmes me mirent dehors et me conduisirent de brigade en brigade jusqu’aux frontières de la Suisse.

— Depuis combien de temps êtes-vous rentré en France ?

— Depuis six mois… et cela grâce à la protection de…

Rifflard l’interrompit.

— Ne m’avez-vous pas dit, l’autre jour, que M. Jules portait au cou un sachet ?…

— Suspendu à une chaîne en acier.

— En quoi est-il, ce sachet ?

— En cuir fauve.

— Il a la forme d’une pièce de cinq francs, ajouta la religieuse. Dans le voyage que nous fîmes ensemble jadis, je me trouvai deux ou trois fois à même d’y jeter les yeux pendant son sommeil.

— Savez-vous ce que contient ce sachet ?

— Non ; peut-être un signe de reconnaissance.

— Docteur ? fit l’ouvrier cambreur en se tournant du côté de M. Martel.

Celui-ci, qui venait d’ouvrir le gilet de l’ex-agent, tenait un objet de la forme et de la grosseur d’une pièce de cinq francs.

— Est-ce cela ?

L’inconnu et la religieuse s’écrièrent ensemble :

— C’est ça, c’est bien ça !

Rifflard s’empara du sachet, l’examina un moment avec la plus scrupuleuse attention, le retourna sous toutes ses faces, puis se détournant à demi ;

— Tenez, docteur, dit-il.

Le docteur prit le sachet, étonné que Rifflard ne le conservât point entre ses mains ; mais voyant à l’attitude de ce dernier qu’il avait ses raisons pour agir de la sorte, il n’insista pas et repassa la chaîne au cou de l’ex-agent, toujours sans connaissance.

Alors Rifflard s’approcha de la religieuse, et se penchant à son oreille, il lui murmura ce peu de mots :

— Prenez courage, madame, espérez !

— J’espère en Dieu.

— Avant peu, ma sœur, un grand crime sera dévoilé, et justice obtenue.

— Le ciel entende mon frère. Je serai bien heureuse de réparer, avant de mourir, le mal que j’ai involontairement aidé à faire.