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Tout ce qui venait de lui arriver, tout ce qu’il avait oublié dans son entretien avec l’ouvrier cambreur, passa subitement devant les yeux de l’ex-agent.

Il se souvint du double comte de Mauclerc, de la sœur Agathe, de son évanouissement, de Filoche remplacé dans son taudis par la Cigale.

Il pensa que mieux vaudrait pour lui abandonner ce côté de ses occupations, et se rejeter dans ses affaires nocturnes.

Il se décida à rendre la liberté à son compagnon.

Mais celui-ci n’avait pas attendu le bon plaisir de M. Jules.

Un fiacre les suivait depuis quelques instants.

Il fit un signe.

Le cocher s’arrêta.

Rifflard monta dans la voiture, puis, attirant doucement son adversaire déclaré en étendant le bras par la portière :

— Un dernier mot, mon bon ami !… lui dit-il.

— Allez !

— Vous êtes content de vous et fier comme Artaban, parce que vous avez deviné que Rifflard n’était pas mon nom ? Vous faites blanc de votre épée parce que vous connaissez la nuance de mes cheveux et la couleur de mes yeux ? Tout le monde en sait autant que vous.

— Eh bien ?

— Moi, je vais vous prouver que sans bruit, sans embarras et sans scandale il est possible de savoir telle chose, d’avoir la clef de telle énigme, que les plus malins en jettent leur langue aux chiens.

Poussez votre venin, monsieur Rifflard, riposta l’ex-agent, moitié colère, moitié curieux.

— Portez la main au sachet mystérieux que vous portez suspendu à votre cou, et vous me dispenserez de vous en dire davantage.

M. Jules pâlit et chancela comme s’il avait reçu une balle en plein corps.

Au même instant, et sans que l’ouvrier cambreur, Rifflard ou le capitaine, eût besoin de donner une adresse, un ordre au cocher, le fiacre partit au galop de ses deux chevaux, qui, sous les apparences les plus misérables, cachaient une ardeur et une vitesse peu communes.

La voiture disparue, M. Jules, qui était demeuré stupéfait, porta vivement la main à son cou, et retirant le sachet qui y était suspendu, il l’examina avec une anxiété sans égale.

Le résultat ne fut sans doute pas des plus rassurants, car il s’écria avec une explosion de rage indicible :

— Mille millions de tonnerres ! ce démon a raison ! Je suis perdu ! Ils me tiennent… si je ne les écrase pas.