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XI

UN AMOUR VRAI

Le premier soin de Rifflard, que nous n’appellerons plus maintenant ni Passe-Partout, ni le capitaine, mais tout simplement le comte de Warrens, fut de baisser les stores de la voiture qui l’emportait loin de son ennemi déclaré.

Certain alors de pouvoir braver à son aise les regards des indiscrets ou des curieux, il prit un paquet placé sur la banquette de devant et le dénoua.

Ce paquet renfermait une toilette de ville complète.

En moins de dix minutes, le comte procéda à son changement de costume avec une dextérité témoignant l’habitude qu’il avait de se passer de valet de chambre.

Le noir Saturne eût été humilié de la rapidité de main montrée par son maître en certaines circonstances.

Une petite glace se trouvait fixée à la planchette de bois séparant les deux carreaux du devant de la voiture.

Après avoir quitté ses vêtements d’ouvrier endimanché, et après avoir endossé les habits contenus dans le paquet susindiqué, M. de Warrens alluma une sorte de rat-de-cave qui se trouvait dans une des poches de la voiture, et se mit à se faire une tête, comme eût pu dire M. Jules ou son digne acolyte, le sire Coquillard-Charbonneau.

Ces deux derniers ne manquaient pas d’une certaine adresse dans ce travail de métamorphose, mais le comte les laissait bien loin derrière lui, aussi loin qu’un peintre de premier ordre laisse un peintre d’enseignes.

En un tour de main, il venait de se donner l’apparence et les allures d’un étudiant en droit ou d’un élève en médecine âgé de vingt-quatre à vingt-six ans.

Cela fait, il éteignit sa bougie, entortilla les vêtements qu’il venait de quitter, et jeta le tout dans un coffre de bois placé sous la banquette de derrière.

La voiture continuait à rouler bon train, le long des boulevards.

Le comte releva les stores et fit un signal.

Elle changea de direction sans ralentir son allure, et s’engagea dans les rues avoisinantes.

Peu après, elle s’arrêta devant l’église de la Madeleine.

Le comte de Warrens descendit, congédia le cocher qui venait de le conduire sans lui adresser un mot, une question, et il entra dans l’église.

La Madeleine était presque déserte et faiblement éclairée.

De rares fidèles, disséminés çà et là, priaient dans la tranquillité la plus profonde.

Le comte s’arrêta auprès d’un pilier.

Alors il se passa dans son âme un phénomène que tout chrétien comprendra.

Cet homme, qui consacrait la plupart des heures de sa vie à l’accomplis-