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— Les événements sont plus forts que la volonté la plus forte ! continua le comte de Warrens. Or, les événements présents me condamnent à sacrifier mes sentiments, mes plus chers désirs, à l’accomplissement de la tâche que je me suis imposée.

La jeune fille baissa la tête et soupira.

Il continua avec une froideur qu’elle eût dû comprendre exagérée.

Mais la jeunesse et l’amour ne raisonnent pas.

Edmée se sentit le cœur plein de larmes et de tristesse… mais c’était une digne, brave et noble fille.

Une fois l’idée de son père revenue présente à son esprit, elle s’appliqua à ne plus songer à autre chose.

Sa résolution prise, elle redevint elle-même.

Elle l’écouta avec la même froideur factice.

— Vous savez quelle est cette tâche ! disait le comte. J’y périrai ou je la remplirai. Mais pour cela il me faut une tranquillité, un calme d’esprit, une liberté d’action que vous seule pouvez me donner. Me les refuserez-vous, Edmée ?

— Dites, Noël ; ce n’est plus une femme, c’est un homme qui vous écoute.

— Merci ! fit-il. Avec votre image chérie marchant devant moi, la victoire ne sera pas douteuse.

— Pauvre cher père ! murmurait la jeune fille, qui, absorbée dans ses réflexions filiales, n’entendait plus, ne percevait plus que comme un écho les dernières paroles de son amant.

Le comte de Warrens respecta quelques instants l’isolement de sa pensée. Puis :

— Comment va M. le duc de Dinan ? demanda-t-il doucement.

Elle revint à elle-même, et le regarda comme pour le prier de répéter sa question.

Le comte obéit.

— Comment est votre père, Edmée ?

— Il est mieux.

— Moins triste qu’à ma dernière visite ? moins inquiet ?

Edmée sourit tristement.

— Vous devez savoir, Noël, répondit-elle, que la tristesse et l’inquiétude sont le fond de la vie de mon père.

— Je jure Dieu que je ferai revenir la gaieté sur son visage et le calme dans son cœur.

— Dieu vous entende !

— Le moment approche où justice lui sera enfin rendue.

— Je me doutais de cela, Noël.

— Vous vous en doutiez ? Et quel indice ?…

— Toutes les fois qu’un danger imminent vous menace, mon ami, j’ai là comme un pressentiment ! fit-elle en portant la main à son cœur.

— Mais je ne cours aucun danger, je vous l’assure.

— Vous me trompez, Noël ! vous voulez me tromper et vous avez tort.