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— Chère Edmée, il ne s’agit pas de moi, mais de votre père, de son honneur, de son nom et de votre bonheur à vous.

— Que m’importe ?

— Comment voulez-vous qu’un coup me frappe avant que j’aie fait mon devoir ? s’écria-t-il avec une confiance naïve qui témoignait de sa foi dans le Dieu qu’il venait de prier, à l’église de la Madeleine.

— Vous donneriez du courage à des lâches, Noël ! Ne vous inquiétez pas. On n’est pas lâche dans notre famille. Je peux trembler à la pensée des périls incessants auxquels vous vous exposez pour nous, mais soyez tranquille, je ne vous dirai jamais : Assez ! tant que vous n’aurez pas atteint le but.

— Noble fille ! voilà comme je vous veux.

— Je vous l’ai dit, réussissez, et je serai vôtre. Une fois la victoire remportée, venez m’en réclamer le prix, et, je vous le jure, mon père ne vous le refusera pas, moi vous l’accordant.

Edmée parlait avec une assurance peu partagée par le comte de Warrens.

Celui-ci ne se faisait pas illusion.

Il connaissait l’indomptable orgueil du vieux gentilhomme, du père d’Edmée.

Il savait qu’avant d’obtenir la main de cette jeune fille, lui, le petit-fils d’un des vassaux du duc de Dinan, il aurait à livrer de rudes combats.

Mais son dévouement marchait en avant sans tenir compte des réticences de son amour.

D’autre part, à quoi bon jeter dans l’âme de la jeune et charmante enfant les doutes qui déchiraient la sienne ?

Il s’inclina donc en signe d’assentiment et dit :

— Edmée, vous et tous les vôtres, vous êtes proscrits, dépouillés, contraints de vous cacher…

— Il est vrai, Noël, mais ce n’est pas pour moi que…

Il l’interrompit à son tour :

— J’ai juré à mon père mourant de vous faire rendre vos titres, votre fortune, le rang auquel vous avez droit.

— Eh bien ! Ce serment ne l’avez-vous pas tenu autant que cela dépendait de vous ? fit la jeune fille. Mon père croit posséder cette fortune dont vous parlez ; le repos et la vie d’autrefois lui ont été rendus. Et cela grâce à qui, Noël ? Qui a été notre bon ange, jusqu’à ce jour ? Répondez, Noël, répondez.

— Je n’ai point encore terminé ma tâche. Mon serment n’est pas entièrement tenu. Comme mon père, je le tiendrai, ou comme mon père est mort, je mourrai.

Edmée essuya les larmes qui coulaient, malgré elle, lentement sur son visage, et, relevant sur lui ses beaux yeux bleus, où se lisaient toutes ses pensées.

— Ami, dit-elle, ne me parlez plus de serments, de devoirs. Ces mots me désolent. Ils vous donnent raison contre ma tendresse. La fille passera toujours, en moi, avant la fiancée. Et pourtant, malgré mon respect, mon obéissance aux moindres volontés paternelles, que de fois ne me suis-je pas vue sur le point de vous crier : Arrêtez-vous ! pauvre cher Noël, vous avez assez fait