Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/529

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— M. le comte est seul le maître.

Ou l’aïeule répondait doucement à sa petite-fille :

— M. le comte seul a le droit de parler.

Et pourtant de ce secret dépendait sans doute le salut de cette famille !

De ce secret dépendait la réussite du plan que le comte de Warrens s’était tracé.

Aussi, que n’eût pas donné ce dernier pour le tenir dans sa main !

Mais pour parler, le vieillard attendait.

Il fallait bien que tous les siens, parents, alliés, amis et serviteurs, attendissent aussi.

La porte de la salle où se trouvaient les principaux membres de la famille de l’Estang s’ouvrit.

Edmée parut. M. de Warrens la suivait.

Le vieillard poussa un soupir de satisfaction en apercevant sa petite-fille.

Il ouvrait les lèvres pour la gronder.

L’enfant gâtée, qui s’en aperçut, ne lui en laissa point, le temps.

D’un bond elle courut à lui, et ne lui donnant pas le loisir de se reconnaître, elle lui saisit la tête entre ses mains, et l’embrassant à plusieurs reprises :

— Le voici, grand-père !

Et comme tous les assistants la regardaient, stupéfaits de la familiarité dont elle usait vis-à-vis du comte de l’Estang, elle rougit un peu, et faisant mine de se repentir de son audace irrespectueuse, elle s’agenouilla à la droite du grand fauteuil seigneurial, dans lequel son grand-père se tenait toujours assis, et répéta plus bas :

— Le voici, monseigneur, le voici !

— Qui, petite fille ? demanda le vieux gentilhomme avec un sourire et en posant la main sur sa tête mutine.

— Noël, monseigneur.

— Ah ! enfin, c’est heureux qu’il vienne ! Qu’il entre.

Edmée se tourna du côté de M. de Warrens, et lui fit un signe d’encouragement.

Le comte de Warrens écoutait tout cela, sur le seuil, immobile, attendant qu’on l’appelât.

Sur la demande du vieillard, et sur le geste de la jeune fille, il s’avança, et salua le maître de la maison.

Pour rien au monde il n’eût prononcé un mot, avant que ce dernier ne lui eût adressé la parole.

Ah ! l’étiquette n’était certes pas un vain mot dans la noble famille des Kérouartz-Dinan-de-l’Estang, faux ou véritables !

— Vous vous êtes bien fait attendre, Noël ! dit enfin le vieux comte, en jetant sur lui un de ses plus clairs regards.

— À mon grand regret, monseigneur !

— Vous êtes-vous donc heurté à quelque obstacle difficile à franchir ?

— J’en ai rencontré plusieurs sur ma route. Ne me sentant pas assez fort momentanément pour les briser, il m’a fallu me décider à les tourner au plus vite.