Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/530

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— Ce que vous avez fait ?

— Oui, monseigneur.

— Vous êtes excusé, Noël. Seulement, à l’avenir, soyez plus diligent.

— Et le vieux gentilhomme, oubliant le motif important qu’il avait d’attendre impatiemment la venue du comte de Warrens, rentra dans son mutisme et dans son immobilité, sa petite-fille à sa droite.

Voyant qu’il n’y avait plus rien qui le retint de ce côté, M. de Warrens s’approcha du vicomte de l’Estang.

Le vicomte s’était levé à son entrée.

Il fit lui-même quelques pas au-devant du nouveau venu et lui serra chaleureusement la main.

— Mon ami, lui dit-il avec émotion, vous pardonnez, n’est-ce pas ?

— À qui, vicomte ?

— À mon père, qui depuis si longtemps vous traite de la sorte, sans se douter de votre délicatesse et de votre grandeur d’âme.

— Oh ! fit en souriant le comte de Warrens, voilà de bien grands mots pour payer un dévouement si naturel. Ne continuez pas, monsieur le vicomte, ou je croirai que la reconnaissance est un lourd fardeau pour vous, si reconnaissance il peut exister de vous à moi.

— J’ai tort, Noël.

— Mes pères ont servi les vôtres, monsieur le vicomte. Les vôtres ont toujours grandement protégé les miens. Me faudrait-il, aujourd’hui, parce que je suis devenu riche, et qu’une puissance occulte m’a fait puissant, me faudrait-il renoncer à cette tâche séculaire, à cet attachement inaltérable pour votre maison ?

— Ce n’est point là ce que j’ai voulu dire. Je vous le répète, j’ai tort. À partir de ce moment, je me contenterai de penser ce que je vous exprimais tout à l’heure. Puisque l’expression de ma gratitude vous gêne, je la renfermerai dans mon cœur, ne vous demandant qu’une seule faveur.

— Laquelle ?

— Quand il y aura pour vous danger de mort à courir, appelez-moi.

— Je vous le promets, monsieur le vicomte.

— Commençons donc dès ce soir.

— Dès ce soir ! Pourquoi ?

— N’est-ce pas la date prise pour…

— Plus bas ! fit le comte de Warrens en montrant les deux femmes, la comtesse de l’Estang et Edmée. Plus bas !… Oui, c’est aujourd’hui que l’action s’engagera.

— Dans quelques heures, sans doute ?

— En effet.

— Je vous accompagnerai.

— Non, vicomte.

— Vous manquez déjà à votre promesse, monsieur, répliqua vivement et avec la hauteur inhérente au sang de son père, le vicomte de l’Estang.

— C’est impossible.

— Même si je vous en prie ?