Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous ne m’en prierez pas, cela me désobligerait, répondit M. de Warrens qui, sans en avoir l’air, appela son frère à son secours.

Le colonel Renaud s’approcha immédiatement.

— Même si je vous l’ordonne, monsieur, continua le vicomte en élevant la voix. Par la Mort-Dieu.

Edmée le regarda d’un air étonné.

La comtesse quitta son rouet.

Le vicomte comprit sa faute et s’arrêta.

— Monsieur le vicomte n’est pas raisonnable, fit le colonel, qui avait deviné le combat livré entre les deux hommes. Mon frère et moi nous lui avons demandé le seul service qu’il pût nous rendre. Pourquoi vouloir dépasser le but ? Sa vie nous est chère, plus chère que la nôtre ! Pourquoi la risquer dans une lutte nocturne qui ne sera probablement que grotesque ?

— D’ailleurs, nous n’avons rien à craindre. Toutes nos précautions sont bien prises, ajouta le comte.

— Nous serons en force, dit Martial Renaud.

— Vous le voulez… soit…, repartit le comte, faisant un violent effort pour reprendre son sang-froid. Seulement je ne vous ai pas bien compris, colonel. Vous parlez d’un service que j’aurais été appelé à vous rendre. Ce service, quel est-il ?

— Avez-vous le plan de… ? demanda le comte de Warrens.

— Ah ! c’est cela… Bien ! répondit le vicomte en souriant. À la bonne heure ! Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule. Voici ce plan.

Et il présenta au comte un papier qu’il venait de tirer de sa poche.

Les deux frères y jetèrent précipitamment les yeux, pour témoigner de l’utilité de ce renseignement.

— Par malheur, continua le vicomte, je crains bien que ce plan ne soit pas d’une grande exactitude. On a fait pour le mieux, mais il manque bien des petits détails.

— Bast ! je vous réponds qu’il nous suffira, fit M. de Warrens avec un geste d’insouciance ; je suis une moitié d’Américain, moi. Martial n’est pas trop maladroit non plus. L’habitude de suivre une piste ne nous manque pas. Nous réussirons, et ceci nous aidera fort.

Il frappait sur le plan tout en parlant ainsi.

Le vicomte de l’Estang comprit le sentiment délicat qui dictait ces paroles.

Il fit semblant de s’y laisser prendre.

— Quand connaîtrai-je le résultat de votre campagne nocturne ? demanda-t-il.

— Demain matin.

— Vous m’écrirez ?

— Je viendrai.

— Merci, Noël.

— Encore un remercîment ! monsieur le vicomte, dit son interlocuteur en riant… Voilà que vous retombez dans votre vieux péché.

— C’est le regret de ne pas vous aider ce soir qui me fait divaguer.

— Encore ! s’écria le colonel avec reproche.