Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/593

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous avez raison, repartit le chef des Invisibles. J’ai voulu éprouver une dernière fois votre amitié. J’en reconnais la force et je me rends.

— Et allez donc ! trompeta triomphalement le gamin en frappant sur le ventre du géant, qui se tenait prêt à écraser de son mépris tout récalcitrant.

Celui-ci ne s’aperçut pas plus de cette familiarité que si une mouche l’avait effleuré de son aile.

La résolution de marcher en avant, ou pour mieux dire de descendre dans le gouffre, bien prise, Passe-Partout recommanda à la Cigale de ne rien oublier de ce qu’il lui avait ordonné.

— Soyez calme, capitaine, tout est paré, répondit le géant.

— Je descendrai le premier, dit Passe-Partout.

— Ah ! mais non ! s’écria le matelot.

— Tais-toi, je le veux. J’irai le premier, Mortimer me suivra, San-Lucar et Martial viendront ensuite.

— Eh bien ! et moi ? demanda le gamin en prenant sa voix la plus mâle.

— Tu fermeras la marche.

— À la bonne heure.

— Avec la Cigale.

— Oh ! je me passerai bien de môôôssieur !

— Silence ! fit le géant. T’es bête, petiot.

Le comte de Warrens monta sur la margelle ; il en saisit le rebord, et au moment de se laisser glisser, il dit :

— Compagnons, l’agitation, le balancement de la chaîne vous avertira que c’est à vous de descendre, et que vous serez libres de me rejoindre.

Et il descendit dans le puits en se pomoyant sur les mains avec une adresse et une force admirées de tous ces hommes forts et adroits.

Lorsque la chaîne leur donna le signal, les trois autres Invisibles, Mortimer, San-Lucar et Martial Renaud, prirent le même chemin et disparurent tour à tour, dans l’ordre indiqué par le chef de l’expédition.

Il ne restait plus dans la cour du Lapin Courageux que le géant et le gamin.

Le géant saisit la chaîne, quand tous ses compagnons eurent rejoint son capitaine.

Mouchette ne le quittait pas des yeux, ne comprenant pas tout d’abord le travail de la Cigale.

Celui-ci, en effet, avait bien saisi la double chaîne, mais au lieu de s’en servir pour descendre, comme il l’avait déjà fait lui-même et comme venait de s’en servir Passe-Partout et les autres, il la remonta jusqu’à ce que le seau se trouvât au niveau de la margelle.

— De quoi ! mon oncle ? Qu’est-ce que c’est ? Où que nous allons ?

— Attends, répondit le géant. Tu vas voir.

Et laissant l’enfant, il disparut dans l’ombre.

Son absence fut courte.

Il revint, portant d’une main cinq pics en fer, et de l’autre un rouleau de cette corde fine tressée, épaisse comme le petit doigt, d’une solidité à toute épreuve, dont on se sert pour la pêche à la baleine.

— Les marins la nomment ligne.