Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/595

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— Hum ! voilà une faction qui peut compter pour toute une campagne ! Si mon général n’est pas content, il n’aura qu’à le dire.

Il se pencha sur le rebord du puits, écouta, et n’entendit rien.

— Les malins ! murmura-t-il, ils ne font pas plus de bruit que des taupes ! Allons ! allons ! j’ai eu un rude nez de ne pas faire comme les autres, qui n’ont pas eu la patience d’attendre. Voilà une guérite qui m’aura servi à monter en grade, mieux que toute une batterie d’artillerie. Ah ! futaille, ma mie, ce cher M. Jules donnerait pas mal de monacos pour avoir eu l’idée de se servir de toi en guise de paletot. Qui diantre se douterait que tout à l’heure ces beaux messieurs étaient maîtres de la place. Je m’en vais boucher l’ouverture, rompre la chaîne, et… ma foi, non… J’ai bien entendu tout ce qu’ils se disaient. Ils ne reviendront pas sur le Lapin courageux. Ils débarqueront à Belleville… À votre aise, mes bons amis, à votre aise… on se retrouvera.

Et l’homme de confiance de l’ex-agent de la police de sûreté se contenta de démonter la double chaîne, laissant l’orifice du puits ouvert comme devant.

Il travaillait à cette pénible tâche tout en continuant à se tenir le langage suivant :

— Cette fois, les voilà donc pincés et arquepincés, ces conspirateurs fantastiques, ces caméléons insaisissables. S’ils s’en tirent, je leur paye des guignes en plein mois de février. Ouf, c’est dur, mais ça y est. Voilà mes derrières assurés… Rien à craindre de ce trou béant !

Il fit quelques pas, respirant à pleins poumons et se détirant les bras.

— On en dira ce qu’on voudra, pensait-il, c’est une belle chose que d’avoir des oreilles et de savoir s’en servir. Comment vais-je m’y prendre pour tirer tout le parti possible de ce que je viens de découvrir. Descendre dans ce puits et suivre mes excellents amis, les Invisibles, que nenni ! Ils ne feraient de moi qu’une bouchée. D’ailleurs, en leur coupant la retraite, je me suis enlevé le moyen de les suivre à la piste. Et puis, c’est noir là-dedans comme dans un four éteint. Que faire ? que faire ?

Le secrétaire de M. Jules, tout en réfléchissant, furetait dans les coins et recoins de la cour, pour s’assurer que nul ne l’espionnait, comme il venait d’espionner Passe-Partout et ses compagnons.

Rien ne bougeait.

Il était bien seul.

Il revint au puits, s’assit sur la margelle et demeura quelques instants la tête basse.

En somme, le pauvre diable avait surpris un secret de la dernière importance.

Mais ce secret le brûlait.

Mons Piquoiseux ne se sentait pas de taille à le porter longtemps tout seul.

— Que c’est bête les gens d’esprit ! fit-il au bout de ses réflexions. Voilà des hommes, intelligents parmi les plus intelligents, audacieux parmi les plus audacieux, qui se savent traqués comme des bêtes féroces et qui s’amusent à causer de leurs affaires en plein air, en plein…

Il allait dire en plein soleil, mais une rafale de pluie glaciale qu’il reçut en plein visage le rappela à la réalité nocturne au milieu de laquelle il pataugeait.