Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/600

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— Voyons, l’ami, fit-il d’une voix à moitié résolue, en définitive et plaisanterie à part, qu’est-ce que vous demandez ?

— Je te l’ai dit : ta vie.

— Sérieusement ?

— Oui.

— C’est trop cher. Il faut changer votre prix.

— Si tu sais une prière, fais-la.

— Une prière ? ricana Piquoiseux, qui, à tout prendre, mis en demeure de défendre ses jours, avait retrouvé le courage instinctif de la brute. Je la chercherai. Laissez-moi le temps d’en apprendre une, mon brave homme.

— Tu as cinq minutes, riposta l’impassible inconnu.

— Je demande cinq ans.

— Tu as cinq minutes, répéta l’autre, qui tira une montre de sa poche et y regarda l’heure, sans se préoccuper de l’arme qui lui menaçait la poitrine.

Ce sang-froid imposa à Piquoiseux, et l’exaspéra en même temps.

Il perdit l’accentuation à peu près bourgeoise, convenable, dont il se servait ordinairement, pour prendre de ces voix éraillées et communes qui ne se rencontrent que dans les bouges les plus infects ou aux heures de révolutions souterraines.

— Ah çà ! hurla-t-il, moitié rage, moitié peur ; ah çà ! vous n’allez pas me la faire. J’en ai assez. Laissez-moi passer, ou, nom de nom, je vous campe une prune dans la cervelle.

— Plus que quatre minutes, répondit l’inconnu. Priez.

— Ôtez-vous de devant la porte ! fit Piquoiseux en s’avançant vers son adversaire, qui ne broncha pas.

Les deux hommes ne se trouvaient qu’à peu de distance l’un de l’autre.

Tout coup de feu pouvait être mortel.

Mais la main de l’inconnu était aussi ferme que sa résolution paraissait immuable.

L’arme qui se trouvait au bout du poignet de M. Piquoiseux dansait une sarabande indigne d’un homme d’action.

Mais, nous l’avons déjà dit, le secrétaire de l’ex-chef de la police de sûreté était un homme de plume, bon tout au plus à trôner dans son bureau grillé entouré de serge verte.

La quantité de balles qu’il avait à tirer ne valait probablement pas la qualité de la seule qui se trouvait au fond du canon du pistolet braqué sur lui par le spectre au loup noir.

Le mouchard sentit sa faiblesse.

Il essaya encore de la douceur.

— Voyons, une dernière fois, laissez-moi passer. Je m’engage sur l’honneur à ne souffler mot à âme qui vive de ce que j’ai découvert cette nuit.

— Plus que trois minutes ! Priez !

En entendant les accents impitoyables de cette voix qui retentissait à son oreille comme le glas de ses funérailles, le misérable sentit toutes mauvaises passions lui monter au cerveau. À la terreur succéda une rage folle.

Cet homme, qui sur un mot de l’autre se fût roulé à ses pieds en le remer-