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— Quelle montre ? quelle timbale ? demanda le géant, ahuri par son inquiétude.

— J’ai gagné deux prix. Voilà.

— Mais il n’y a pas de mât de Cocagne ici.

— Non, mais il y a des moellons, des pierres, des trous et des couteaux.

— Des couteaux ? Pourquoi faire ? Ah ! oui, je sais… V’là le mien… Non, passe-moi le tien. C’est moi qui irai là-haut.

— À la force des bras, n’est-ce pas ? répliqua le gamin de Paris en riant.

— Pardieu, oui !

— Tu pèses cent vingt kilos, mon bonhomme. Il n’y a pas de lame qui résiste à ça. Moi, je pèse quatre-vingts livres. Plus lourd que l’air, c’est vrai, mais je m’enlève.

— Brave enfant, dit la Cigale. Grimpe !

Et il lui fit la courte échelle.

Mouchette lui monta sur les épaules.

Planté sur ce solide piédestal, le gamin enfonça l’un des deux poignards que la Cigale lui avait donnés dans l’interstice de deux pierres moussues, humides, mais résistant à la main.

Ce premier jalon planté, il en planta un second au-dessus.

Alors, se soulevant à la force du poignet, grâce au second jalon, il arriva à se maintenir d’aplomb, accroché d’une main aux trous dès pierres ou aux excoriations de la muraille, et appuyé d’un pied sur le premier couteau.

Une fois d’aplomb et sûr de lui, il se baissa, et, de la main qui lui demeura libre, il arracha le premier couteau, qu’il replanta plus haut et toujours ainsi, avec une vigueur qu’on aurait été loin de soupçonner dans un corps aussi frêle.

Pendant que le gamin exécutait cette pénible ascension, le géant se tenait en bas, juste au-dessous de lui, haletant, bien arc-bouté sur les poteaux qui lui servaient de jambes, les bras tendus, l’œil sur chacun de ses mouvements, prêt à le recevoir, aie sauver en cas de chute, au prix de sa propre existence.

Cela dura près de dix minutes.

Quand Mouchette atteignit, la margelle et s’y cramponna avec un cri de joie, la Cigale se passa la main sur le front, et l’en retira baignée d’une sueur froide.

Jamais le colosse n’avait tant tremblé pour lui-même.

Ses muscles se détendirent.

La réaction fut si violente dans cette nature athlétique, qu’il se vit obligé de s’asseoir pendant quelques instants sur un moellon détaché de la muraille, attendant et se tenant prêt à tout.

Cependant, le gamin qui venait de se tirer à son honneur du tour de force que la Cigale regardait peut-être avec raison comme une gasconnade avant de l’avoir vu exécuter, avait joyeusement enjambé le rebord du puits.

Son premier soin fut d’abord de regarder autour de lui.

Tout se taisait.

Rien ne donnait signe de vie.

Peu à peu ses yeux se familiarisèrent avec les ténèbres du dehors.