Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/619

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Sa voix rude, son ton bref, sa prestance décidée, son geste sobre, son regard ferme, en faisaient un autre homme.

Du reste, rien dans sa mise ne dénotait le parvenu.

Il était tout de noir vêtu, boutonné jusqu’au menton, et deux excroissances qui soulevaient à droite et à gauche les basques de sa redingote à la hauteur de l’ouverture de ses poches, témoignaient de certaines précautions que les indigènes, bourgeois de Paris, ne sont pas dans l’habitude de prendre, au centre de leur capitale, même aux heures les plus avancées de la nuit.

— Brrr ! il fait froid, ce soir ! murmura-t-il en fourrageant le feu à l’aide d’une pincette.

La vieille femme ne lui répondit rien, et activa son travail.

L’inconnu se tourna alors vers elle, et lui demanda :

— Quoi de nouveau, Brigitte ?

— Rien.

— Comment, rien !

— Je ne peux pas vous dire qu’il y a quelque chose, quand il n’y a rien, n’est-ce pas ?

— Au fait, tu as raison.

Il y eut un silence.

— Brigitte ! appela-t-il quelques instants après.

— Quoi ?

— J’attends quelqu’un.

— Quand ?

— Tout de suite.

— Vous le recevrez… où cela ?

— Ici.

— Dans cette salle ?

— Parfaitement.

— Alors je m’en vais, fit-elle en se levant et en pliant son tricot.

— Non, reste ! répliqua le baron ; il n’y a pas de mal à ce que tu saches ce dont il s’agit.

Brigitte se rassit et se remit au travail avec une ardeur fébrile.

Son mutisme prémédité était loin du compte du baron.

Il y eut un silence, pendant lequel notre homme eut le temps de chercher à amadouer la sévère gardienne du logis.

— Tu ne me demandes pas le nom de la personne qui doit venir me rejoindre ?

— Ça m’est bien égal.

— Hein ?

— Ça ne me regarde pas. Jusqu’à présent je n’ai jamais voulu me mêler à vos affaires.

— Il y a commencement à tout.

— Je ne me soucie pas de commencer aujourd’hui.

— Mauvais caractère, va !

— Oui, parlons-en… Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

— De quoi, alors ?