Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Quelle que soit la personne attendue par vous, je vous en préviens, dès qu’elle arrivera je passerai dans une autre pièce.

— Tu reviendras ! fit le baron en souriant finement.

— Quand vous en aurez fini avec votre complice.

— Mon complice, à présent. Ne dirait-on pas que j’ai l’intention de lui faire commettre un crime ?

— Ce sera ainsi.

— Soit, à ton aise, dit le baron de son accent le plus bourru.

Il y eut un nouveau silence.

Définitivement Brigitte ne prenait aucun goût à la conversation du baron.

— J’entends des pas sur le sable, s’écria tout à coup la vieille femme.

— Mazette ! tu as l’oreille plus fine que moi, la mère. Mais ne te trompes-tu point ?

Deux coups frappés sur un carreau répondirent pour Brigitte.

Elle se leva, plia son tricot et se mit en devoir d’allumer une bougie.

— Décidément tu t’en vas ?

— Oui.

— Libre à toi de ne rien entendre ; mais n’oublie pas, la mère, qu’il te faut fermer la bouche aussi bien que les oreilles.

— Bon !

— Tu sais qu’il y va de la vie.

— Vous menacez toujours ! fit brusquement la vieille femme.

— J’aime mieux menacer que punir.

— À mon, âge, on ne craint ni menaces ni châtiments. Ayez confiance, ou renvoyez-moi.

— Te renvoyer ! que nenni ! D’ailleurs, où irais-tu ?

— C’est mon affaire.

— Silence ! dit le baron.

On venait de frapper une seconde fois à la fenêtre.

— Va-t’en.

— Puis-je me coucher ?

— Oui… non… Mieux vaut que tu attendes notre départ. On ne sait pas ce qui peut arriver.

— Bien, on veillera, répondit-elle avec un imperceptible sourire.

Elle sortit.

— Hum ! murmura le baron, voilà une diablesse bretonne qui nous manigance quelque tour de son métier. Il faudra voir.

Il alla à la fenêtre et l’ouvrit toute grande.

Un homme l’enjamba et pénétra dans la chambre.

Cet homme, vêtu tout aussi mystérieusement que le baron de Kirschmark, était de haute taille.

Ses cheveux et ses moustaches, d’une blancheur complète, coupés en brosse, lui donnaient une physionomie militaire.

Encore vert, malgré son âge avancé, il semblait doué d’une grande vigueur.

Ses yeux noirs, couronnés d’épais sourcils, jetaient un éclat fauve.