Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/628

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— Avouez-le, je serais bien bête de m’en dessaisir.

— Ces papiers, vous les avez volés…, fit le duc avec fureur.

— À votre profit… oui… dans l’étude de mon père. Vous le voyez, je ne nie rien. J’imite votre brutale franchise. Ces parchemins sont ma sauvegarde. Nous nous connaissons trop bien pour que je vous les remette. Si vous en deveniez le détenteur, vous me haïssez trop mortellement, vous, mon ancien ami, pour ne pas chercher à me nuire en tout, dans ma fortune et dans ma considération. Voyez-vous, Macé !… non… général, nous sommes tous deux fils de cette vieille terre armoricaine où les hommes poussent plus durs que les rochers de l’Océan. Une lutte entre nous deux n’amènerait de bon résultat ni pour l’un ni pour l’autre. Croyez-moi.

Le duc écouta cette véhémente sortie sans sourciller.

— Vous avez fini ? dit-il.

— Oui.

— Eh bien ! vous n’y êtes pas du tout, mon cher. Il ne s’agit nullement de vous redemander ces papiers.

— Mais vous-même…

— Oui… je me suis emporté… je vous ai suivi dans un chemin de traverse ; retrouvons la grande route. Pour la première fois de ma vie, je me félicite de ce que ces maudites pièces se trouvent entre vos mains.

Kirschmark l’examina pour voir s’il parlait sérieusement.

— Peut-être votre prudence détournera-t-elle le danger qui nous menace.

— Expliquez-vous, au nom du ciel !… Plus de phrases, des faits !

— Soit. Baron, la chose vous touche autant que moi. Le duc et la duchesse de Dinan ne sont pas morts.

— Où vivent-ils ?

— À Paris.

— Connaissez-vous leur demeure ?

— Non, mais je la connaîtrai.

— Bien. On verra, fit Kirschmark avec un geste terrible.

— Attendez…

— Quoi ?… Après tout… que nous importe, mon cher ? Le seul duc de Dinan, c’est vous. Cela a été juridiquement prouvé.

— Attendez, répéta le duc, ce n’est pas tout.

— Vous vous effrayez facilement de fantômes qu’un souffle dissipera.

— Fantômes, oui, mais fantômes vengeurs !

— Allons donc !

— Les deux vieillards ne sont plus seuls, abandonnés, comme jadis.

— Qui les protège ?

— Des amis dévoués, puissants.

— Mais encore ?

— Les deux Kergraz.

— Les Kergraz ?

— Oui. Quelques jours après la mort de leur père, ils ont quitté Cayenne.

— On les a vus à Paris ? demanda anxieusement le banquier.

— Ils y sont.