Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/648

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— Dieu ne se mêle pas de vos affaires, monsieur le duc, répondit l’inconnue de son ton le plus sardonique, et cette indifférence divine est votre seule chance de réussite.

Le baron, plus fin que son complice, cherchait à percer les ténèbres qui lui cachaient les traits de cette femme, son ennemie ou son amie la plus dangereuse.

Mais la nuit et l’épaisseur du voile noir lui servaient doublement de bouclier.

Le banquier vit qu’il fallait capituler.

Il attendait le moment de traiter aux meilleures conditions.

— Vous le comprenez à présent, ajouta-t-elle, je vous tiens.

— C’est vrai, dit franchement Kirschmark.

— Je puis vous perdre.

— Ou nous tirer d’un mauvais pas.

— Vous l’avez dit. Voulez-vous mon aide ? Me voulez-vous contre vous ? Répondez, mais répondez vite. Le temps presse ; réfléchissez pendant que je vous parle. Il me faut un oui ou un non, bien clair, bien précis.

— Vous êtes seule, vous, femme, entre deux hommes résolus, armés ; ne les réduisez pas au désespoir ! fit le duc en se contenant de son mieux.

— Seule ! fit-elle ironiquement, vous êtes certains du contraire. Entre deux hommes, oui, mais entre deux hommes qui tremblent, et dont, à mon premier geste, à mon premier cri, la vie ne pèserait pas un fétu.

Le duc et le baron comprirent qu’elle disait vrai.

Il n’y avait pas de temps à perdre.

Ils allèrent droit au but.

— Si vous ne consentez pas à nous expliquer l’intérêt, la raison qui vous jette dans nos secrets et dans notre parti, nous apprendrez-vous au moins quel danger nous menace ?

— Avant peu, les Invisibles seront ici, répondit-elle sèchement.

Tout préparés qu’ils fussent à cette nouvelle, le duc et le baron se regardèrent effarés.

— Comment le savez-vous ?

— Que vous importe ? Je le sais. Cela doit vous suffire.

— Il nous sera impossible de nous entendre, madame, si, tout au moins pour ce qui concerne nos intérêts communs, nous ne jouons pas cartes sur table.

— En cela vous avez raison, monsieur le duc, repartit la dame voilée après un court instant de silence.

— Qui vous a si bien renseignée ?

— M. Jules !

— Lui seul ?

— Un autre encore… Il n’y a donc pas l’ombre d’un doute, pour moi, sur leur arrivée prochaine. Si le pavillon où nous nous trouvons en ce moment n’était pas gardé par vingt hommes sûrs et m’appartenant, je ne m’étonnerais pas de les voir surgir dans l’ombre au milieu de nous.