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LES INVISIBLES DE PARIS

LES COMPAGNONS DE LA LUNE
PROLOGUE
À VOL D’OISEAU

I

OÙ PASSE-PARTOUT ENTRE EN SCÈNE

La nuit du dimanche gras, carnaval de l’année 1847, l’auteur du Spectateur nocturne eût eu fort à faire et beaucoup à voir, entre minuit et une heure, si, témoin occulte, du haut d’un observatoire central comme la lanterne du Panthéon, il avait pu s’intéresser simultanément à ce qui se passa, dans ce court espace de temps, barrière de Fontainebleau, rue Beaujon, sur le pont Royal et dans une impasse avoisinant le Marché-aux-Chevaux.

Malheureusement, ainsi que nous venons de le constater, depuis un demi-siècle à peu près, Rétif de la Bretonne et son œuvre dorment et se reposent dans la poussière de l’oubli ; et dans le monde où sans doute plane son âme curieuse et taquine, le vieux rôdeur de nuit ne songe plus guère aux choses d’ici-bas.

Nous essayerons donc de le remplacer, en décrivant de notre mieux les quatre scènes étranges et mystérieuses qui, tout en se composant d’éléments hétérogènes, forment les quatre assises de notre histoire.

Sur la route de Paris à Villejuif, à une centaine de pas de la barrière de Fontainebleau, un ouvrier, vêtu d’une blouse bleue et d’un pantalon de toile de même couleur, un béret basque enfoncé jusqu’aux sourcils, un cigare à la bouche, se promenait de long en large, envoyant de temps à autre une bouffée de fumée en l’air, et paraissant s’occuper aussi peu du carnaval qui s’en va que du carême qui arrive.

Et cependant c’est l’heure du plaisir ou du sommeil ; celle de la flânerie est passée, celle des affaires le paraît encore plus.

Oh ! Paris, ville de ténèbres et de lumières, réceptacle de toutes les fanges et de toutes les gloires, tu n’as pas de plus chère complice que la nuit ! il se taille plus de besogne dans ton giron à la pale et blanche clarté des étoiles qu’aux rayons du soleil ! Tu protèges les travailleurs de ces heures mystérieuses !

Ah ! tes rues, désertes et calmes en apparence, cachent plus de mouvement