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ment, n’ayant plus rien qui vînt le distraire de la perte énorme qu’il était peut-être sur le point d’éprouver, cette puissante nature s’affaissa tout d’un coup sous le poids d’une douleur navrante, inconsolable.

— Noël ! mon frère ! murmurait-il de temps à autre, sans s’apercevoir qu’il prononçait ce nom chéri…, je ne te verrais plus…, je te succéderais !… Non…, c’est impossible ! Je n’ai accepté cette tâche redoutable, ce titre qui me donne la richesse sans bornes et le pouvoir le plus irrésistible, que pour te les conserver jusqu’à ton retour ! Noël ! Noël ! mon véritable moi-même ! Je l’avais prédit… qu’il nous arriverait malheur !

Mais sa faiblesse passa.

La réaction se fit.

Le colonel se releva, et chassant ses idées noires :

— Allons ! s’écria-t-il, pas de larmes, pas de plaintes, sauvons-le… ou du moins accomplissons ses volontés jusqu’au bout.

Sa résolution prise, Martial Renaud n’hésita plus.

Il s’approcha de la muraille, et toucha de l’extrémité de son doigt un bouton dissimulé dans la boiserie, impossible à trouver pour tout autre que lui.

Une porte secrète tourna silencieusement sur ses gonds.

Martial Renaud jeta un cri de surprise, lui qui n’était pourtant pas facile à étonner.

Une femme se tenait immobile sur le seuil de la porte.

Cette femme, c’était Edmée.

Elle souriait.

Elle s’avança lentement.

Après avoir repoussé légèrement la porte secrète, qui se referma, elle pénétra dans le salon.

Le colonel ne trouvait pas un mot, pas une interrogation, tant l’acte de la jeune fille avait l’air d’être raisonné, naturel.

Il lui offrit un siège.

Elle le remercia d’un regard, s’assit, et, penchant la tête sur sa poitrine elle demeura immobile et songeuse.

Martial Renaud, debout devant elle, la considérait avec un mélange de tristesse et d’admiration.

Enfin, la jeune fille releva la tête.

— Asseyez-vous, mon ami, lui dit-elle.

Le colonel prit une chaise et s’assit auprès d’elle.

Edmée continua :

— J’étais là.

— Depuis longtemps ?

— Oui.

— Et vous avez entendu ?

— Tout. Appuyée contre cette porte, comprimant jusqu’aux battements de mon cœur, j’ai gravé dans ma mémoire vos généreuses paroles.

— Ne parlez pas ainsi, chère Edmée ; il n’y a pas, il ne peut y avoir de générosité dans l’amitié fraternelle qui existe entre Noël et moi.