Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/715

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— Depuis la fin du souper de mon père, depuis huit heures du soir, j’étais là.

— Ainsi vous connaissez toutes les résolutions prises par nous ?

— Je les connais.

— Les ordres donnés par moi ?

— Oui, Martial.

— Approuvez-vous les mesures que j’ai prises ?

— Je les approuve, et je vous en sais gré, surtout à vous, Martial.

— Je ne suis pas seul à les exécuter.

— Oui…, oui…, vos amis sont de nobles et vaillantes natures, s’écria la jeune fille avec enthousiasme, des cœurs de lion, des esprits d’élite. Mais en l’absence de mon Noël, de votre frère, vous êtes leur chef, et je ne peux remercier que vous du dévouement que vous lui témoignez. Vous tenez loyalement les promesses de votre belle devise : Un pour tous, tous pour un. Je suis fière d’être la pupille de tels hommes, je me sens toute confiante en étant protégée par eux et par vous.

— Mon enfant, vous allez un peu loin dans votre reconnaissance, répondit Martial Renaud, nous ne méritons point cet enthousiasme, tant que nous sommes encore à espérer la réussite de notre projet.

— Vous réussirez.

— Nous ne faisons qu’accomplir un devoir en nous tenant à la disposition des vôtres, mon frère et moi. Des liens sacrés, des liens séculaires ne nous unissent-ils pas à votre chère famille ?

— Je ne suis pas de votre avis, mon ami ; vous rabaissez à dessein un dévouement sans limites comme le vôtre au niveau d’un devoir accompli. Cela ne doit pas être.

Le colonel ne répondit rien à la jeune fille.

Il se contenta de s’incliner silencieusement, cherchant le moyen de donner un autre tour à l’entretien qu’elle était venue chercher.

Au bout de quelques instants de silence :

— Me permettrez-vous, Edmée, de vous adresser une question ?

— Vous prenez des précautions oratoires avec moi, mon bon Martial ? Ne savez-vous pas qu’en tout et pour tout vous n’avez pas de meilleure amie que moi ?

Ce disant, la jeune patricienne, quelles que fussent son estime et sa gratitude pour le chef provisoire des Invisibles, montrait bien qu’elle se croyait tout au moins son égale.

Et, par le fait, n’avait-elle pas raison ?

Femme, elle valait bien, par la finesse, un de ces Invisibles, qui ne se soutenaient qu’à force de rouerie, prise dans la bonne acception du mot.

Reine par la beauté et par la race, sa double couronne ne le cédait pas au sceptre, au bâton de commandement tenu parle chef de ces mêmes Invisibles.

Martial Renaud repartit :

— C’est que par cette question je crains…

— Que craignez-vous ?

— De vous affliger.