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— Soit.

— Seulement un conseil, chère Edmée.

— Parlez.

— Réfléchissez encore avant de vous décider.

— J’ai réfléchi.

— Si la fatalité veut que vous n’ayez pas la force de renoncer à votre dessein, souvenez-vous que de près comme de loin, en cas de besoin, vous ne devez point vous adresser à d’autres qu’à nous.

Edmée leva vers lui ses yeux pleins de larmes.

— Vous êtes bien réellement mon frère.

— Adieu, Edmée, fit le colonel, que l’attendrissement de la jeune fille allait gagner.

Elle pencha vers lui son front, sur lequel il déposa un baiser respectueux.

— Adieu… ou à bientôt…, dit-elle avec une expression mêlée de tristesse et de malice.

Martial ne parut pas la comprendre.

— Vous le sauverez, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle en descendant quelques marches.

Martial s’associa du geste à son espoir.

— Nous le sauverons ! fit la jeune fille à voix plus basse, comme si elle se parlait à elle-même.

Et Edmée de l’Estang disparut dans la spirale de l’escalier, légère comme un oiseau.


XIII

LUCILE GAUTHIER

Demeuré seul, le colonel Martial Renaud écouta le bruit des pas de la jeune fille, qui allait s’affaiblissant.

Lorsqu’il fut sûr de son complet éloignement, il rentra chez lui et referma la porte secrète.

Il n’avait plus besoin de se rendre dans le pavillon du duc de Dinan.

Edmée s’était chargée de lui porter les fonds destinés à les mettre à l’abri de la gêne, en l’absence des deux frères. Ses plans étaient modifiés.

Il rentra dans son cabinet de toilette et changea de vêtements.

Tout en procédant à ce changement, il murmurait :

— Pauvre enfant ! ce secret qu’elle croit enfoui au fond de son cœur, je l’ai pénétré. Ai-je eu raison en n’insistant pas pour qu’elle me le fît partager ? Oui. Mon devoir était de la détourner de son entreprise ardue. Elle aime Noël ! Elle sera sa femme ! Après tout, n’est-il pas juste que la femme prenne sa part, ou cherche à la prendre, dans la délivrance de son mari, de celui qui l’aime tant de son côté ?

Sa toilette tirait à sa fin.