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Le colonel Martial Renaud venait de faire place à ce bon M. Lenoir, le commis-voyageur.

Personne ne l’eût reconnu, tant les nécessités de leur existence mystérieuse avaient donné d’habileté aux membres de l’association des Invisibles pour tout ce qui concerne l’art de la transformation.

Après avoir allumé une lanterne, M. Lenoir prit son chapeau et sortit.

Il avait bien soin de faire le moins de bruit possible.

Il traversa rapidement le corridor.

Puis, ayant atteint l’escalier, il le descendit quatre à quatre.

À coup sûr, le commis-voyageur tenait à ne pas éveiller les autres locataires de la maison.

En passant devant la loge du père Pinson, il aperçut de la lumière.

Le vieillard veillait encore.

Son chien Hurrah reposait, étendu à ses pieds.

Le colonel gratta à la fenêtre de la loge.

La fenêtre s’entre-bâilla.

Hurrah ouvrit à moitié les yeux, regarda M. Lenoir, le reconnut et rentra dans ses velléités dormitives.

— C’est vous, monsieur Lenoir ?

— Moi-même, mon brave.

— Vous y allez ?

— Oui.

— Elle vous attend.

— C’est bien.

Il passa devant la loge et pénétra dans le corps du logis de droite.

Quelques instants après, au troisième étage de ce corps de logis, il frappait deux coups discrets à la porte d’un petit appartement sous laquelle on voyait filtrer un rayon de lumière.

— Entrez ! fit une voix de femme.

La clef avait été laissée à dessein dans la serrure.

Le commis-voyageur entra.

Il se trouva en face de Lucile Gauthier.

La jeune femme, assise devant un guéridon, cousait à la lueur d’une lampe garnie d’un abat-jour.

Auprès d’elle se trouvait le berceau de son fils.

L’enfant dormait, le sourire aux lèvres, de ce sommeil qui est une des bénédictions du Seigneur.

Une grande pâleur régnait encore en maîtresse ennemie sur le visage de la jeune femme.

Mais ses traits, naguère encore atrophiés par la misère, avaient repris leurs lignes régulières, leur calme et leur placidité.

Elle était belle comme la Niobé antique.

On sentait qu’une douleur irrémédiable avait passé par là, mais l’expression mélancolique de sa physionomie, les épais bandeaux de sa chevelure noire, ajoutaient encore à l’attrait irrésistible s’échappant, s’exhalant comme un parfum de toute sa personne.