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Il avait marché près d’un quart d’heure et fait passablement de chemin, lorsqu’il aperçut, non loin de lui, sur sa gauche, blanchir, à travers les arbres, les murs grossiers d’une masure au toit de chaume.

Un énorme bouchon désignait de loin cette demeure peu tentante, pour une auberge ou tout au moins pour un cabaret, aux yeux du passant affamé, ou au voyageur dévoré par la soif ou la fatigue d’une longue étape.

Un peu plus loin, mais en pleins champs celui-là, apparaissait un bâtiment, assez vaste et possédant toutes les entournures extérieures d’une ferme.

Arrivé devant la porte du bouchon, trop basse pour sa formidable stature, le voyageur s’arrêta, et s’appuyant sur son long bâton, il regarda autour de lui et se mit à examiner les êtres de la localité.

La première chose qu’il aperçut fut l’enseigne, peinte sur un morceau de tôle, grinçant au vent, et suspendue juste au-dessus du bouchon.

Cette enseigne représentait un reptile, d’apparence fantasmagorique, vert-pomme sur fond jaune, au-dessus duquel se trouvait l’exergue suivante, en lettres noires de trois pouces de haut :


À LA LIMACE


Au-dessous de l’intéressant animal, on lisait ces mots ayant bien toute la saveur normande :


Bon cidre à dépotéyer.


Le voyageur regarda l’enseigne avec satisfaction, et la regarda longtemps même, comme eût pu faire un enfant de cinq ans, cherchant à déchiffrer ses premières lettres de l’alphabet.

Son examen ayant abouti à sa faim ou à sa soif, il se passa la langue sur ses lèvres épaisses et d’un rouge sanglant, et il la fit claquer contre son palais.

Il passait encore l’examen de la maison, qu’il se mit à tressaillir.

Sans plus hésiter, il entra dans le cabaret, en se baissant.

La salle dans laquelle il pénétra était petite, basse, obscure, meublée seulement de quelques tables garnies de leurs bancs en bois.

L’aire n’était que le sol même fortement battu et rendu raboteux par les pieds des visiteurs.

Un étroit comptoir, encombré de verres et de bouteilles de toutes sortes, faisait face à la porte.

Une fenêtre à guillotine, de quatre pieds carrés, aux vitres crasseuses, couvertes de toiles d’araignées, laissait pénétrer dans cet antre une lueur quasi-crépusculaire.

La salle était vide.

Le cabaretier manquait à son comptoir.

S’asseyant à une table, le voyageur s’installa confortablement le dos au mur ; cela fait, il frappa un fort coup de son gourdin sur la table voisine de la sienne.