Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/732

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— De quand il vous plaira, répondit Anthime Guichard, qui ne s’imaginait point parodier, en parlant de la sorte, une scène qui se passait à la cour du grand roi, du Roi-Soleil, de Louis le Grand, quatorzième du nom.

— Bon ! servez-moi un pain de quatre livres, faites-moi une omelette au lard, et apportez-moi le jambon.

— De combien d’œufs l’omelette ?

— Je n’ai pas très faim, répondit le voyageur après s’être consulté, mettez-en…

— Quatre.

— Non, quinze.

Le cabaretier regarda sa pratique avec admiration.

— Vous n’avez pas de fromage ?

— Il faudrait être fou pour ne pas en avoir.

— Vous m’en donnerez.

— Lequel ?

— Celui que vous voudrez. Je les aime tous.

— Ça se trouve bien, je n’en ai qu’un, pensa maître Guichard.

— Et du vin, n’est-ce pas ?

— Il est cher, vous savez.

— Bon. Ce n’est pas ça que je vous demande. Combien le litre ?

— C’est du vin fin… je ne le vends pas au litre.

— Combien la bouteille, alors ?

— Trente sous.

— Apportez quatre bouteilles.

— Monsieur attend quelqu’un ?

— J’attends… mon déjeuner…

— Bien. Monsieur prend du vin, alors monsieur ne prend pas de cidre ?

— Pourquoi ça… que je n’en prendrais pas ? demanda le voyageur avec une certaine dignité offensée.

— Dame ! fit le cabaretier étonné.

— Donnez-m’en un pot.

Anthime disparut.

Il était aussi ravi que stupéfait.

Il reparut bientôt après portant un pain, un jambon, et le pot de cidre demandé.

Le tout fut placé soigneusement devant le voyageur.

— N’oubliez pas le vin, et soignez mon omelette, dit celui-ci.

— Soyez tranquille.

L’autre entama le pain et le jambon.

Il mangeait d’un appétit formidable.

Au bout de dix minutes, à la rentrée du cabaretier, qui lui apportait une omelette aux proportions gigantesques, la moitié du jambon avait déjà disparu.

L’omelette se vit attaquer avec vigueur.

Anthime Guichard ne quittait pas des yeux ce spectacle attrayant et curieux.

Le voyageur lui dit entre deux bouchées :