Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chonner et de se masquer, en tournant sur ses talons. On dirait que je suis né en pleines lagunes, du xve au xvie siècle. Le cœur vous en dit-il, cher monsieur ?

— Ce que vous ferez ce soir, je le ferai comme vous, cher comte, reprit son interlocuteur, qui se masqua aussi.

— Je vous plains, alors, du fond de mon âme.

— Pourquoi ?

— Parce que je suis maître de maison et qu’il est de mon devoir de ne pas m’amuser autant que mes invités.

— Est-ce pour qu’on vous reconnaisse que vous mettez ce nœud rose à votre épaule gauche ?

— Sans doute ; mais mon intendant seul et deux de mes gens savent ce détail. Je vous supplie en grâce de ne pas me trahir.

— Je vous promets de profiter seul de cette découverte, dit-il en riant.

— Mille grâces !

— À propos, votre intendant, n’est-ce pas un M. Karl Schinner ?

— C’est cela même.

— Un charmant homme !

— Un honnête homme surtout, répondit gravement le comte.

Un quart d’heure après, l’employé supérieur de la Préfecture de police, attaqué par un adorable petit domino, dansait en face d’une esclave grecque ayant pour cavalier un masque au manteau vénitien et au nœud rose sur l’épaule gauche.

Rien n’empêchait ce rancunier et haut fonctionnaire de croire qu’il avait pour vis-à-vis, dans le porteur de ce nœud rose, le maître de céans, son ennemi intime, le comte de Warrens.


V

CE QUE PEUT CACHER UN MANTEAU VÉNITIEN

C’était le plus beau moment de la fête donnée par le comte de Warrens.

À l’extrémité du jardin d’hiver se trouvait un kiosque, si bien dissimulé par les massifs de verdure et les bosquets touffus, qu’un promeneur indifférent aurait passé et repassé plusieurs fois autour de lui sans en soupçonner l’existence.

Ce kiosque et le jardin d’hiver occupaient le milieu du parc.

Il se composait d’un rez-de-chaussée.

À la porte de ce rez-de-chaussée se tenait un personnage en costume de magicien, lequel laissa entrer successivement sept dominos, qui lui donnèrent tous les sept le même mot d’ordre.

Puis, le septième entré, il referma la porte, traîna un lourd sofa qu’il mit en travers, et s’étendit sur ce sofa.

Les sept dominos se trouvaient réunis dans une salle aux tentures sombres,