Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/75

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dont la simplicité austère et l’isolement contrastaient, sous tous les rapports, avec les galeries bruyantes et resplendissantes de lumières du corps de logis principal.

Cette salle était assurément une retraite, un lieu d’asile pour certains privilégiés de la maison.

L’orchestre lançait au loin ses valses les plus entraînantes, ses harmonies les plus retentissantes.

Fleurs, parfums, lumières, faisaient un Éden nocturne de cette longue suite de salons merveilleux d’élégance et de richesse.

Pourquoi ces sept dominos avaient-ils fui la joie générale ?

Pourquoi s’étaient-ils glissés, rapides, silencieux, parmi ces deux mille chercheurs de plaisirs ?

Quel motif puissant les obligeait à se parler d’une voix contenue, mesurée, une fois qu’ils s’étaient mis à l’abri des indiscrets et des curieux, dans ce pavillon isolé ?

Que craignaient-ils ?

À chaque instant leurs yeux se tournaient machinalement vers la seule porte donnant accès dans la salle où ils se trouvaient.

Un moment même leurs conversations à voix basse s’arrêtèrent.

On venait de frapper à la porte du kiosque.

On entendit le gardien se lever, déranger le meuble placé par lui devant la porte, ouvrir, donner une réplique et recevoir une réponse.

Quelqu’un entra.

La porte se referma sur le nouveau venu.

Les premiers arrivés se levèrent tous à l’aspect d’un domino bleu qui, étendant vers eux sa main droite, leur montra un anneau sur la pierre duquel étaient gravées les armes de la maison de Warrens, avec la vieille devise au bas : Varia ense ; Tout par l’épée

Ce domino bleu était le président de l’association dont les sept dominos noirs faisaient partie.

— Toutes mes précautions sont prises, messieurs, dit-il, nous n’avons à craindre ni interruption, ni indiscrétion.

Et du geste, il les invita à se rasseoir.

Les masques obéirent.

Seul, le domino bleu demeura debout au milieu du salon.

La demie après trois heures sonna.

— Messieurs, reprit le président, vous êtes exacts, et je vous remercie de votre exactitude. Chacune de nos séances annuelles, chacune de nos réunions préparatoires, quelque petit que soit le nombre des membres qui y assistent, est d’un concours puissant pour l’assemblée générale, qui tient ses assises tous les cinq ans. D’ici à longtemps peut-être, nous ne nous retrouverons pas ensemble, ou bien, si l’heure sonne d’une réunion nouvelle, combien de nous manqueront au rendez-vous ? Combien de nous, tombés sur la brèche, écrasés dans cette lutte incessante soutenue au nom du progrès contre l’obscurantisme, l’ignorance, la routine et tous les maux horribles qui en découlent ?

Un murmure approbatif interrompit l’orateur.