Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/744

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— Voir la ferme… du dehors !

— Ça n’aurait pas été bien malin, répondit assez irrespectueusement le gamin de Paris, qui, de temps en temps, ne pouvait s’empêcher de se laisser aller à sa nature railleuse.

— Tu as voulu entrer ?

— Je suis entré, fit-il avec une simplicité héroïque.

— Imprudent… Tu auras donné l’éveil.

— Ah ! ouiche ! le plus souvent. J’ai été élevé sur le carreau des halles. Il n’y pousse pas des calinos.

La réputation de Calino était à peine à son aurore, et Mouchette la connaissait !

— Voyons !

— C’est ce que je me suis dit : Voyons, et j’ai vu.

— Hâte-toi.

— Voilà, voilà, mon maître. Ne craignez rien, vous ne jetez pas votre temps par l’œil de bœuf du père Anthime, en écoutant mes renseignements.

Tous les compagnons écoutaient le gamin avec plaisir.

Son babil, son air déluré les intéressaient.

Mouchette reprit :

— Pour lors je ruminais mon affaire… au milieu des ruminants qui se gobergeaient sur les vastes et vertes pelouses des environs. Des bœufs et des vaches, ça ne m’avançait guère. Je tourne la tête, et qu’est-ce que j’aperçois ? Un cheval, une belle bête, ma foi, qui tondait le vert à pleine bouche, dans le clos voisin. Bon, j’y suis. Il n’y avait personne là ; j’entre dans le clos, et je fais sortir la bête.

— Alors ?

— C’est intelligent, un cheval ! continua le gamin de Paris, qui, comme les grands orateurs, ne daignait jamais accorder la moindre attention aux interruptions ; le mien avait compris mon idée tout de suite. Faut dire que je lui chatouillais un peu la croupe avec un paquet d’orties… Il ruait, il ruait comme un Turc causant amicalement avec un Russe.

Ce misérable Mouchette faisait même de la politique !

Une fois par an, il parcourait le premier-Paris d’une feuille égarée.

Attendant que les rires de son auditoire se fussent calmés, il continua :

— Je me garais des ruades… Mon animal, voyant qu’il n’y avait rien à frire avec Moumou… Il se met à se secouer, à danser, à faire de la haute école, puis, en fin de compte, le v’là qui prend sa course, et v’lan ! Il ne manque pas le coche, il entre ventre à terre dans la ferme.

— La porte en était donc ouverte ?

— On venait de l’ouvrir pour laisser passer une charrette. Bon, ça y était ! j’arrive à mon tour, un bout de longe à la main. « Qu’est-ce que tu veux, petit ? me demanda un grand serin, bête comme une oie. — Je veux qu’on me laisse reprendre Cocotte, qui vient de s’échapper… » Je lui réponds ça en pleurnichant… Mon grand serin appelle trois ou quatre grands gaillards qui me regardent, se chuchotent des bêtises à l’oreille, et me reçoivent comme un caniche dans un jeu de cochonnet.