— Pauvre Mouchette !
— Je ne me décourage pas. J’insiste… Pendant ce temps-là, le cheval, comme s’il avait eu le mot, faisait une vie de polichinelle dans la cour.
— Enfin ?
— Enfin, tout le monde était en l’air pour mettre la main dessus. Bernique ! Voyant ça, mes quatre argousins s’en mêlent… Mon grand serin me colle une bourrade et me pousse dans la cour en me disant : « Rattrape ta bête, animal ! » Je ne me le fais pas chanter deux fois, et j’entre. Ouf !
— Qu’as-tu vu ?
— Tout ce qu’il y avait à voir : ceci, cela, et tout le tremblement !
— Tu as eu le temps ?
— Je le crois bien. Mon cheval, le malin singe, prenait plaisir à se moquer de nous… ce dont les autres bisquaient comme des ânes, et moi je riais… en dedans. Il a fallu plus d’un grand quart d’heure pour l’empoigner.
— Bien.
Mouchette salua en remerciement de ce court éloge de son adresse, et après un temps il reprit :
— Mon maître, il faudra changer votre plan de campagne.
— Tu le connais donc ? demanda René un peu ironiquement.
— Faut croire.
— Et pourquoi le changer ?
— Parce qu’il ne vaut pas une’chique.
— Voyons.
— Vous allez voir. Questionnez-moi ?
— Combien sont-ils dans la ferme ?
— Vingt-sept.
— Hein ! fit le vicomte étonné.
— Ah ! voilà ! ça vous épate. Je vous avais prévenu.
— Vingt-sept hommes ?
— Non.
— Alors, que me chantes-tu ?
— Vingt-sept personnes, tant du sexe masculin que du sexe féminin. Quoi ! les femmes, ça ne compte donc plus en Normandie, à l’heure qu’il est ?
— Combien de femmes ?
— Huit ou dix.
— Ah ! c’est toujours cela de moins, dit René.
— Comptez toujours sur une dix-huitaine de gaillards qui se portent bien.
— Ensuite ?
— Quoi ?
— Le capitaine, qu’en ont-ils fait ?
— Oh ! ils ne l’ont pas mangé. Ils le traitent comme un coq en pâte. Seulement je crois qu’ils tiennent bigrement… pardon ! diablement à le garder.
— Où l’ont-ils logé ? dans le principal corps de bâtiment ?
— Non pas.
— Tu es sûr de ce que tu avances là ?
— Pardi ! je l’ai vu.