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Après tout, il ne se plaignait pas de les recevoir. Qu’avait-il à faire de mieux dans cette maudite prison ?

Il résolut de voir de quelle façon ces deux coquins émérites rempliraient les rôles dont ils s’étaient chargés.

La porte fermée, ou à peu près, le greffier s’assit sur une chaise apportée par le porte-clefs pour la circonstance exceptionnelle en question.

Il se préparait à écrire.

Le juge d’instruction se plaça du côté opposé de la table, et l’interrogatoire commença.

Cet interrogatoire fut conduit avec une adresse extrême, et soutenu avec une habileté rare.

Lutte curieuse de ruse et de finesse, livrée par le juge et par le prévenu.

En somme, Passe-Partout demeura impénétrable.

Le juge d’instruction fut contraint de baisser pavillon en lui-même, quand celui dont il comptait faire le jouet de ses rubriques magistrales termina en lui disant avec une nonchalance affectée :

— Du reste, monsieur, il y a une chose que je ne m’explique pas du tout.

— Laquelle ?

— Vous me permettez de vous adresser, à mon tour, une seule, unique et simple question ?

— Faites, répliqua le juge de son air le plus sardonique.

— Comment se fait-il que, contrairement à l’usage, et au Code d’instruction criminelle, au lieu de m’appeler dans votre cabinet, vous ayez pris la peine de venir m’interroger dans ma cellule ?

Le juge d’instruction toussa, cracha, se moucha.

La réponse n’était pas commode à trouver.

Il ne se donna même pas la peine de la chercher plus longtemps ; c’eût été compromettre sa dignité.

Il riposta avec la gracieuseté brutale de celui qui se croit le plus fort :

— Monsieur, vous m’avez demandé la permission de m’adresser une question. Je vous l’ai accordée.

— C’est vrai.

— À mon tour, je vous demanderai l’autorisation de ne pas vous répondre.

— Je vous la refuse ! fit en souriant de son air le plus aimable le comte de Warrens.

— Ce n’est pas trop sot ! répliqua le juge d’instruction en riant. Mais vous trouverez bon que je ne tienne pas compte de votre refus.

— À votre aise, monsieur… Mais alors, vous ne vous étonnerez guère quand je vous informerai de la résolution formelle que je viens de prendre…

— Quelle résolution, monsieur ?

— Celle de ne plus donner suite à aucune de vos questions.

Cela terminait l’interrogatoire.

Il était cinq heures et demie.

Cet entretien peu amical et peu loyal avait duré presque toute la journée.

Le greffier bredouilla d’une voix nasillarde le procès-verbal de la séance.

Il le présenta à signer à Passe-Partout.