Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/787

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— J’ai excusé, j’excuse et j’excuserai tout, comtesse.

— Je n’attendais pas moins de votre longanimité. Mon Dieu ! que voulez-vous, mon cher comte, on ne peut vous loger en voyage, et surtout dans un voyage aussi rapide et d’aussi longue haleine, comme vous avez l’habitude de l’être dans votre magnifique hôtel du quai Malaquais. Mais, d’ailleurs, comte, vous êtes vous-même un trop grand voyageur pour vous étonner de tout ce qui vous arrive en ce moment ; mais comptez que, hormis ces petits inconvénients, complètement indépendants de notre volonté, nous ferons notre possible pour vous rendre l’existence douce, douce et agréable même.

Passe-Partout sourit.

Il savait trop bien, pour l’avoir entendu quelques heures auparavant pendant son sommeil simulé, ce que la créole appelait une existence douce et agréable.

La fosse aux lions était un des moindres agréments de son futur programme.

— Ne prendrez-vous pas la peine de vous asseoir ? madame la comtesse, reprit-il avec une charmante insistance.

— Vous tenez à ne pas mentir à votre caractère, n’est-il pas vrai ? fit-elle avec son plus mauvais sourire.

— Je tiens, avant tout, à être poli avec une femme.

— Ah !

— Quelle que soit cette femme, reprit-il d’une voix railleuse.

Elle se mordit les lèvres jusqu’au sang, mais elle répliqua simplement :

— Vous appelez cela de la politesse, vous, monsieur de Warrens ?

Le comte lui présentait toujours le siège.

Elle le repoussa du pied avec une impatience fébrile.

— Nous causerons debout, monsieur, dit-elle sèchement.

— Soit. J’attends qu’il vous plaise de vous expliquer, madame.

— D’expliquer quoi, monsieur ?

— Mais le but de votre visite, il me semble, comtesse ?

— Ce but, ne le devinez-vous pas, monsieur le comte ?

— Sur l’honneur, non.

— Vous êtes ou bien naïf, ou bien oublieux, monsieur le comte.

— Ce n’est pas sans doute l’intérêt que vous daignez porter à un pauvre prisonnier, madame la comtesse, qui vous a poussée à descendre… pardon, est-ce à descendre ou à monter dans son cachot… pardon encore, dans son infirmerie, car en vérité je ne sais comment dire.

Ce brave Passe-Partout se moquait de son ennemie le plus agréablement du monde.

La comtesse de Casa-Real ne fit pas mine de s’en apercevoir.

— Peut-être, repartit-elle avec un sourire un peu forcé.

— Vous me rendez confus… Je suis vraiment indigne de tant de bontés.

— Vous en convenez ?

— Oui.

La comtesse se contenait.

Elle sentait qu’il lui fallait jouer serré, car maintenant qu’il était redevenu